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Vues d'Afrique n° 1

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La situation des droits de la femme au Niger


par Abdourhamane Salamattou,


Secrétariat chargé des femmes enseignantes, Syndicat national des enseignants nigériens(S.N.E.N.)

Dans son exposé, l'auteure présente d'abord un état de la situation de la femme au Niger. Ensuite, elle passe en revue les actions entreprises par le Gouvernement en vue d'améliorer les conditions de la vie des femmes, eu égard aux difficultés qu'elles rencontrent. Elle se demande ensuite quelles stratégies mettre en oeuvre dans la perspective d'un réel développement de la femme dans ce pays.


Présentation

Quels que soient notre vision du monde, nos objectifs politiques et nos orientations idéologiques, force nous est de constater une chose essentielle à la pleine compréhension des problèmes de la femme : c'est qu'elle est l'objet de discriminations plus ou moins fortes, et cela tout au long de son existence.

Ces discriminations affectent les femmes depuis leur naissance. En effet, les filles courent plus de risques de décéder que les garÙons. La fillette en âge d'aller à l'école aura moins de chance que son frère de poursuivre une scolarité normale. Elle sera moins stimulée à la réussite et davantage sollicitée par les tâches ménagères pour alléger le fardeau de sa mère. Quand elle sera à la recherche d'emploi, elle aura moins de chances qu'un homme de trouver du travail, sauf dans certains secteurs où, en règle générale, les salaires sont plus bas.

Toutes ces discriminations ne sont évidemment pas le fait de la situation «mal-développement» que vit l'Afrique en général et le Niger en particulier, puisqu'elles existent à des degrés divers sur la planète entière. Mais qu'on le veuille ou pas, les femmes se présentent aujourd'hui comme des acteurs sociaux catalyseurs des questions plus générales que soulève le développement. Améliorer la condition et le statut de la femme nécessite la résolution d'un faisceau de difficultés. Or, la problématique revêt un enjeu considérable sur un continent en pleine mutation où les priorités doivent être définies, notamment aux plans de l'éducation, de la production agricole et de la croissance démographique. Il est dès lors certain que l'on ne résoudra pas le problème sans faire une place de choix à l'amélioration des conditions de vie des femmes dont est-il encore besoin de rappeler qu'elles constituent la moitié de la société.

Encore aujourd'hui, au Niger, en dépit des déclarations de bonnes intentions faites par les dirigeants politiques, la place de la femme n'est pas reconnue, faute de volonté politique réelle en faveur de sa promotion.

La situation socio-économique de la femme

Les domaines d'activité de la femme couvrent la presque totalité des secteurs de l'économie nationale. Mère protectrice, dispensatrice de la vie, dépositaire des feux du foyer, gardienne des traditions, interlocutrice privilégiée avec l'au-delà, la femme a toujours joué un rôle déterminant dans la société. Aussi, sa contribution tant à la vie économique qu'à la vie familiale est inestimable. De nombreuses études ont cependant montré que la plupart des activités dont elle s'acquitte ne sont toujours pas considérées comme «économiquement rentables» et ne figurent pas dans les statistiques de l'économie nationale.

Quand on aborde la question du travail de la femme dans la littérature, on retrouve deux autres grandes questions : celle de la double journée et celle du "travail invisible".

La double journée consacre l'idée que le travail de la femme se mesure en termes économiques pendant sa journée de travail salariée, agricole ou commercial, alors que les tâches qu'elle accomplit pour l'entretien de la famille ne sont jamais comptabilisées. En effet, ce sont toujours les femmes qui assument la corvée d'eau et de bois, qui se livrent aux travaux ménagers, qui s'occupent des personnes âgées, des malades et des enfants. Cette surcharge oblige les femmes à mettre en place des stratégies de partage de travail, notamment par le biais du travail des fillettes. Il apparaät ainsi que ces dernières travaillent plus que les garÙons du même âge, aussi bien à la maison que dans les champs. Cette catégorie de femmes appelées «femmes au foyer» constituent une proportion de femmes «inactives» d'environ 83 %; sur les 2 263 000 femmes âgées de 10 ans et plus, 1 773 450 d'entre elles sont donc considérées comme «inactives», «improductives» et «économiquement dépendantes»; voilà pourquoi le travail qu'elles effectuent est souvent qualifié d'«invisible», puisque jamais comptabilisé.

De manière générale, la participation du travail des femmes à l'agriculture, au commerce et aux services est sous-estimée. Dans le secteur informel, ce travail est difficilement contrôlable par les services fiscaux. En milieu paysan, les femmes ne sont pas les chefs d'exploitation et elles ne possèdent pas de terre. Cette sous-estimation de leur travail les a longtemps privées d'appui en matière de formation et d'apprentissage des techniques agricoles. Privées ègalement d'un accès facile au crédit, il leur est à ce jour difficile d'émerger.

S'agissant de la participation au marché du travail, l'emploi féminin est souvent ghettoïsé. Les femmes sont cantonnées dans les domaines acceptés par la société en fonction de leur statut. L'on ne s'étonnera donc pas de les voir occuper sur le marché du travail des emplois qui apparaissent comme un prolongement de leurs occupations domestiques: l'éducation et la santé dans la fonction publique, par exemple.

Dans le secteur public, la proportion des femmes salariées représentait 17% (soit 7 370 femmes) tous niveaux de qualification et postes d'emplois confondus, sur un effectif total de 42 840 agents.Sur 25 974 emplois recensés en 1988, seuls 1950 étaient occupés par les femmes. Ces chiffres témoignent de leur faible participation dans le secteur moderne; or, l'accès de femmes à l'emploi constitue aujourd'hui une nécessité économique dans la majorité des cas, et sõrement un facteur d'indépendance économique et socio-culturelle.

Dans l'enseignement du premier degré, sur un total de 11 419 enseignants, seules 4 084 sont des femmes. Le personnel d'encadrement à l'Ecole Normale est de 122 professeurs au nombre desquels on ne compte que 19 femmes. En enseignement secondaire et technique, 16 des 119 professeurs sont des femmes. S'agissant du personnel de supervision, 8 des 53 inspecteurs sont des femmes cependant que 7 d'entre elles seulement composent le corps des 55 conseillers.

Dans les secteurs para-publics et privés, la présence des femmes est très faible. Dans le premier cas, on n'y compte que 1 620 femmes sur des effectifs de 17 800, soit 3%. Dans le privé, qui compte 27 900 salariés, les femmes ne sont que 4 410, soit 16%.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet état de fait, mais le handicap majeur de départ demeure le faible taux d'instruction (scolarisation et alphabétisation) et de formation professionnelle des femmes.

Dans l'industrie, d'une manière générale, les femmes sont sous rémunérées. Elles y exercent souvent des tâches non qualifiées. Mais le secteur informel demeure leur lieu de prédilection. Lenvironnement socio-professionnel de la femme n'est guère motivant. Les blocages socio-culturels, le manque de législation appropriée, etc., sont autant de freins à l'épanouissement économique de la femme; c'est d'ailleurs ce qui explique que nombre de ses activités se retrouvent dans l'informel. Elles se concentrent i) dans le commerce au détail exercé à petite échelle; ii) l'artisanat de production (vannerie - poterie - transformation de produits agricoles et sous-produits de l'élevage, etc...); iii) l'artisanat de service (restauration, couture, coiffure, hôtellerie.).

Toutes ces activités sont généralement non déclarées et se pratiquent soit à domicile, soit dans la rue ou les marchés. Cependant, quelle que soit l'activité considérée dans ce secteur, les insuffisances sont considérables, c'est-à-dire le manque de professionalisme (formation sur le tas). Le capital initial est toujours personnel. La main-d'oeuvre est souvent familiale. Il n'y a guère de souci de rentabilité, de rigueur dans la gestion et on y note une absence totale de comptabilité. De plus, la fiscalité et les difficultés d'accès au crédit sont autant d'obstacles auxquels les femmes sont confrontées dans ce secteur.

Toutefois, en dépit d'un environnement économique défavorable, l'activité informelle de la femme présente des avantages qui sont loin d'être négligeables et elle représente pour l'Etat une source de recettes substantielles, grâce au paiement des patentes et des taxes. En 1987, par exemple, selon une étude sur l'artisanat féminin au Niger, 37 890 micro et petites entreprises artisanales féminines ont été dénombrées dont 32 330 situées en zone rurale. C'est un facteur non négligeable, puisqu' en dehors de la satisfaction des besoins essentiels de la famille qu'elles assure, ces activités contribuent à la redistribution des revenus tout en faisant bénéficier la population de services rapprochés.

Dans le domaine des emplois non salariés et, plus particulièrement l'agriculture et l'élevage, la participation des femmes est très importante. Dans l'agriculture, elles représentent 20,4% de la population active. Le travail s'effectue souvent dans les champs du mari, la femme ne disposant que très rarement d'un droit à la terre; si ce n'est le lopin de terre où elle fait généralement les cultures de case et de maraächage.

De fait, au Niger, le travail de la terre est majoritairement féminin. Les femmes constituent l'épine dorsale de la production agricole, voire rurale. Mais le travail agricole de la femme a toujours été banalisé. Avec la crise alimentaire qui sévit en Afrique, le voile sur l'importance des femmes dans la production agricole a été quelque peu levé. Malgré cela, beaucoup reste à faire en vue d'améliorer la participation des femmes dans des domaines tels que les circuits de commercialisation, le crédit agricole, le regroupement en coopératives, qui sont jusqu'ici du ressort des hommes.

Au plan de la santé, des études ont tenté de mettre en évidence les différences entre les hommes et les femmes. Le recensement de 1988 fait ressortir que 57% de la population féminine est jeune de moins de 20 ans, donc en âge de procréer. L'indice synthétique de fécondité (7,4%) est l'un des plus élevés du monde. Aussi, la fécondité étant précoce, les grossesses rapprochées et le comportement nataliste des femmes font que le taux de mortalité maternelle est l'un des plus élevés de la sous-région(7%). L'espérance de vie est de 48 ans. Aussi, le taux de mortalité (134%) augmente la tendance à la procréation. Tous ces risques peuvent être limités par un suivi approprié, une alimentation équilibrée. Mais les couvertures de soins de santé maternelle et infantile se situent au niveau le plus bas.

La consommation alimentaire des femmes est moins élevée que celle des hommes. Partout, les femmes mangent après les hommes. Cette pratique est la survivance de l'exigence de l'entretien de la force de travail masculine. Cette pratique ne se justifie plus, ni en milieu rural, du fait de la modernisation des campagnes, ni en milieu urbain du fait de la malnutrition. Celle-ci se répercute d'ailleurs sur les enfants. Même si ces derniers ont un statut social important, leurs conditions de vie risquent de détériorer encore davantage.

La situation politique et juridique de la femme

a) Un pouvoir non partagé

La sphère politique est largement dominée par les hommes, et les préoccupations se rapportant au sort des femmes n'y trouvent guère l'écho souhaité. Pourtant, dans les discours, les politiciens n'oublient jamais les femmes. Certains font parfois des déclarations fracassantes à leur endroit. Force, cependant, est d'admettre que, rarement, les déclarations d'intention aboutissent à des réalisations concrètes. Et grand demeurele fossé entre les prises de position et leur mise en pratique.

A titre d'exemple, la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes(1979) n'est toujours pas ratifiée, et la politique de promotion de la femme non adoptée, encore moins le code de la famille. Tous ces textes dont il n'est nul besoin de souligner l'importance, continuent d'être peu ou prou ignorés. C'est dire l'ampleur de la tâche restant à accomplir et la multiplicité des contraintes exiatantes.

Actuellement, la place de la femme au sein des principales instances décisionnelles relève beaucoup plus d'une représentation symbolique et d'un saupoudrage politique que d'une reconnaissance effective de l'égalité en droits. Pour illustrer cet état de fait, rappelons que de 1960 à 1974, il n'y avait aucune femme dans le gouvernement, et le droit à la députation n'était pas pris en compte. Souligons à cet égard le rejet, en 1970, du dépôt de candidature à la députation de Madame Noma Kaka Safiatou. De 1974 à 1991, il y eut deux femmes au gouvernement, soit le même petit nombre que pendant la transition. Sous la 3ème République, on compte une femme Ministre et 4 Secrétaires d'Etat, sur un total de 29 membres. Il en est de même dans le Parlement, où l'on trouvait, sous la 2ème République, quatre femmes députés sur 90; on en compte six sur 83 depuis l'avènement de la 3ème République et de la démocratie.

Au sein des structures politiques, les femmes occupent toujours les secrétariats à la Promotion de la Femme. Encore une fois, elles sont les victimes de l'action des mentalités rétrogrades qui ne conÙoivent l'expression de leur condition que dans le cadre familial, hors des sphères décisionnelles.


b) Inégalité devant la loi

Au plan juridique, l'examen de la situation de la femme s'apprécie en terme de jouissance de chacun des droits et libertés garantis par tous les textes de lois. Appréhender le statut juridique de la Nigérienne revient à examiner le caractère discriminatoire qui caractérise son rapport avec le droit.

Si l'on prend en compte le droit de législation, les prestations familiales, la Loi sur l'organisation des juridictions, etc., on observera sans difficulté que ces instruments ont tous été élaborés par les hommes, et à leur avantage.

Si dans de nombreux autres textes de loi, tel celui du droit d'accès à la terre, on ne mentionne pas l'interdiction à la femme d'être propriétaire, il reste que dans les faits, la situation est toute autre. En matière du code de la famille, les hésitations sont nombreuses. Les textes sont préparés, mais ne sont pas approuvés; les blocages persistent car il n'y a pas de véritable consensus national sur la question.

La contradiction entre les discours et les pratiques à l'égard des femmes demeure pregnante. Elle s'explique, entre autres, par le mode de pensée des femmes qui, en tant que groupe dominé, acceptent l'exclusion par le repli sur elles-mêmes. Les hommes légitimisent cette domination, qui puise sa source dans l'histoire et la culture du pays.

 

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