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Vues d'Afrique n° 2

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Les droits des minorités: entre droits culturels et droits politiques

Par Isse Omanga Bokatola

 

 


 
Introduction

Au nombre des multiples et graves problèmes qui se posent en cette fin du XXème siècle dans de nombreux États du monde, un de ceux qui retiennent le plus l'attention par son actualité et les divers conflits dont il est la cause, est certainement celui des minorités.

Ce problème n'est pas nouveau. L'Histoire nous cite, déjà dans l'Antiquité, des exemples, il est vrai rares et rudimentaires, de protection des individus différant de la majorité de la population par la langue, la religion, la couleur, etc.

La véritable protection internationale des minorités est apparue en Europe au lendemain des guerres de religion, luttes armées entre catholiques et protestants aux XVIème et XVIIème siècles, qui aboutirent à la proclamation de la liberté de conscience au profit notamment des minorités religieuses. Plus tard, avec la montée du nationalisme, les Congrès européens, par exemple, étendront au XIXème siècle la protection internationale aux minorités nationales. Toutefois, l'appréciation que l'on peut faire des clauses de tous ces premiers textes de protection est qu'elles ont eu très peu d'efficacité, de même qu'échoua le système détaillé de protection des minorités mis en place par la Société des Nations (SDN) après la première guerre mondiale. C'est dans l'échec de ce système de la SDN que la communauté internationale d'aujourd'hui a trouvé le point de départ du développement de son action dans ce domaine.

Trois organisations internationales s'occupent actuellement des questions des minorités: l'Organisation des Nations Unies (ONU), l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et le Conseil de l'Europe. Toutefois, jusqu'à présent, aucune définition officielle de la notion de minorité n'a encore été retenue au sein de ces organisations. Plusieurs tentatives ont été entreprises en ce sens, pas une n'a abouti, en raison surtout de l'impossibilité pour les États de s'entendre sur les expressions à utiliser et les groupes à inclure dans la notion. À l'heure actuelle, on reconnaît qu'il est illusoire de penser qu'une définition susceptible de recueillir une adhésion générale puisse être formulée. On considère cependant que des règles pour la protection des minorités peuvent être élaborées même s'il n'existe pas encore d'accord sur la notion, les groupes (minoritaires) visés dans les cas concrets étant bien connus.

Ainsi, malgré le fait que la géographie et l'histoire donnent aux minorités leurs caractéristiques et traditions propres - les minorités sont nombreuses et diverses, trois types de droits sont le plus souvent proclamés en leur faveur : des droits individuels, des droits collectifs et le droit des peuples.

I. Des droits individuels

S'inspirant des exemples en la matière des siècles précédents, mais tenant également compte des lacunes de ceux-ci, la SDN présida, après la première guerre mondiale, à un nouveau réseau de traités visant à protéger uniquement les minorités des puissances vaincues ou des États agrandis ou nouvellement crées en Europe centrale et orientale. Ces traités prévoyaient notamment la non-discrimination, l'autonomie en matière culturelle et éducative, ainsi que le droit d'employer sa langue maternelle dans la vie publique et privée. La SDN avait recours à une procédure de communications pour obtenir des États qu'ils respectent leurs obligations conventionnelles en matière de protection de telle ou telle minorité. Les pétitions étaient examinées par le Secrétariat de la Société puis, si celui-ci les jugeait recevables, par un comité spécial composé de plusieurs États membres du Conseil de la Société. La Cour permanente de Justice internationale joua un rôle important dans la procédure en assurant la garantie internationale des clauses de protection des minorités. Néanmoins, l'application du système de protection particulière de la SDN ne donna satisfaction ni aux États auxquels il s'imposait, ni aux minorités en faveur desquelles il avait été élaboré. Le mécontentement des Etats et des minorités fit sortir, au moins partiellement, le problème de la protection des minorités du cadre de la SDN. Les conflits minoritaires recommencèrent de plus belle, avec leur cortège de déstabilisation et de violence, et finirent par contribuer en partie, comme pour la première guerre mondiale, à l'éclatement du second conflit le plus sanglant du siècle.

La tentative malheureuse de protection des minorités de l'entre - deux - guerres, ainsi que les errances auxquelles elle avait mené, incita sur le plan international les États à ne pas poursuivre l'expérience lancée par la SDN. Pendant un premier temps, vingt ans au minimum, la préoccupation de la communauté internationale fut non plus protection (en faveur) des minorités en tant que groupes, mais plutôt protection globale de la personne humaine. Une série étendue de normes internationales obligatoires a été développée pour protéger l'individu sans tenir compte du fait qu'il appartient ou non à une minorité, et pour interdire la discrimination. Toutefois, l'application de ces règles relatives aux droit de l'homme montre que celles-ci ne permettent pas d'atteindre l'objectif recherché, à savoir rendre inutiles des normes spécifiques sur la protection des groupes minoritaires. Un pas vers les droits spéciaux de ces groupes sera fait avec le Pacte international de l'ONU relatif aux droits civils et politiques.

A. Des droits individuels généraux

1. Le principe
 

Lorsqu'on examine les différents textes internationaux relatifs aux droits de l'homme, pratiquement tous sont muets sur la protection des minorités, mais proclament et garantissent le respect des droits fondamentaux de tous les hommes, sans distinction de majorité ou de minorité.

Il est vrai, protéger les minorités, c'est avant tout assurer aux personnes qui y appartiennent, comme à tous les autres citoyens de l'État, la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'exercice de tous ces droits (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels) sans aucune discrimination. On le sait, la règle de non-discrimination est la formulation concrète et négative de celle d'égalité individuelle. Elle signifie qu'aucune distinction ne doit être exercée contre un individu ou un groupe uniquement à cause des différences de couleur, d'origine ethnique, de langue, de religion,... et qu'aucune préférence injustifiée ne doit être octroyée à un individu ou à un groupe à cause de ces mêmes différences.

En passant sous silence depuis la création de l'ONU en 1945 jusqu'au milieu des années soixante la question des minorités, les États pensaient que les minorités tireraient avantage des droits qui protègent l'ensemble des citoyens, et que le respect de ces droits, ainsi que celui du principe de non-discrimination, leur assureraient seuls une protection suffisante. En d'autres termes, on croyait que la suppression de l'oppression individuelle entraînerait automatiquement la cessation de l'oppression collective. Mais les choses n'ont pas évolué comme on l'avait espéré.
 
 

2. Les insuffisances

Très rapidement après la deuxième guerre mondiale, des problèmes particuliers de protection des minorités en tant que groupes vont ce poser à nouveau, notamment entre l'Inde et le Pakistan déjà en 1947. Ainsi, non seulement les minorités vont continuer à exister, mais elles vont persister dans leur revendication à la spécificité.

Avec beaucoup d'hésitation et, parfois, l'hostilité de certains États, la communauté internationale au sein de l'ONU, par exemple, va reconnaître que, bien que liées, les notions de non-discrimination et de protection des minorités sont différentes l'une de l'autre, et que la non-discrimination ne suffit pas à garantir le droit à la spécificité des groupes minoritaires. En effet, la non-discrimination dans la jouissance des droits de l'homme ne constitue qu'une garantie individuelle. Si elle est la condition préalable absolue à l'application de mesures spéciales en faveur des minorités, elle ne peut assurer seule la protection spécifique que nécessite la conservation et le développement de l'identité du groupe. La protection des minorités, nécessaire à cet effet, comporte ainsi deux aspects: d'une part, le bénéfice d'un traitement égal à celui de la majorité de la population; d'autre part, l'octroi de mesures spéciales en plus des droits accordés à l'ensemble de la population, afin de permettre aux minorités de garder leurs caractéristiques propres. C'est pourquoi, en plus des droits individuels généraux, une tentative vers la reconnaissance des droits spéciaux des minorités sera faite par l'ONU avec le Pacte international relatif aux droit civils et politiques. Mais cette tentative fut timide car entreprise toujours dans le cadre des droits individuels attribués aux membres des minorités.

B. Des droits individuels spéciaux

1. Les bénéficiaires des droits

Le pacte international de l'ONU relatif aux droits civils et politiques stipule en son article 27: "Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue".

Au sujet des bénéficiaires de ces droits, il faut préciser que l'article 27 du Pacte n'accorde pas de droits aux minorités en tant que groupes. Durant les nombreuses années au cours desquelles les organes des Nations Unies tinrent de multiples et longs débats pour élaborer les projets des Pactes, la crainte que la reconnaissance d'une protection directe en faveur des groupes ne pousse ces derniers à s'opposer aux États fit que l'Organisation ne considéra comme titulaires des droits garantis par l'article 27 que les personnes appartenant aux minorités. Cependant, on ne doit pas oublier que les droits individuels octroyés doivent être exercés par des personnes "en commun avec les autres membres de leur groupe"; la raison en est qu'à la base des droits prévus, il y a les intérêts d'une collectivité et, par conséquent, c'est l'individu en tant que membre d'un groupe minoritaire et non pas n'importe quel individu qui est appelé à bénéficier de la protection accordée par l'article 27. Avec cet article, un pas a donc été tenté vers les droits spécifiques des groupes minoritaires, même si l'optique demeure - résistance des Etats oblige - encore individualiste.
 

2. Les droits octroyés

L'article 27 du Pacte garantit les droits qui protègent les caractéristiques spécifiques des minorités, en l'occurrence les caractéristiques ethniques, linguistiques et religieuses. Ainsi, les personnes appartenant aux minorités ethniques ont le droit d'avoir leur propre vie culturelle, celles faisant partie des minorités religieuses le droit de professer et de pratiquer leur propre religion, celles appartenant aux minorités linguistiques le droit d'employer leur langue. On peut relever ici que ces mêmes droits sont accordés aux enfants des minorités par l'article 30 de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989.

L'article 27 consacre les droits accordés à des individus minoritaires et qui sont distincts ou complémentaires des droits individuels généraux ou communs dont peuvent jouir tous les individus, qu'ils appartiennent ou non à une minorité. Par conséquent, ces droits doivent être protégés en tant que tels et ne doivent pas être confondus avec d'autres droits individuels conférés conformément au Pacte à tous et à chacun.

Selon l'opinion dominante, cet article ne consacre que des droits négatifs, le devoir pour l'État de ne pas entraver la jouissance des droits: les membres des minorités peuvent, en commun, opposer à leur État le droit de jouir de leur héritage culturel, de pratiquer leur religion et de parler leur langue; toutefois, ils n'ont pas le droit d'exiger de cet État l'adoption de mesures positives.

Cette thèse ne nous paraît pas conforme à l'objectif recherché par le texte. En effet, les droits reconnus dans l'article 27 du Pacte sont semblables aux droits figurant dans le Pacte international de l'ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ils impliquent tous pour les États des obligations de nature positive, comme d'ailleurs l'a enfin reconnu le Comité des droits de l'homme de l'ONU: dans son observation générale no. 23(50) du 6 avril 1994 concernant l'article 27, le Comité des droits de l'homme souligne que l'État est tenu, en vertu de cet article, de prendre des mesures positives de protection en faveur des membres des minorités, afin que ces derniers puissent préserver leur culture et leur langue et pratiquer leur religion, en commun avec les autres membres de leur groupe.

Les virtualités contenues dans l'article 27 doivent être développées. Cet article n'est ainsi qu'un point de départ, un "cadre de travail", la première étape d'une oeuvre de longue haleine pour l'élaboration d'un véritable droit international des minorités. Actuellement, on se trouve dans la deuxième étape de cette entreprise, phase qui se caractérise par la reconnaissance des droits collectifs aux minorités en tant que groupes.

II. Des droits collectifs

En matière de minorités, les débats relatifs au contenu de la protection internationale à leur accorder ont permis de se rendre compte que certains droits culturels ne peuvent être exercés que collectivement par les minorités. On leur a alors octroyé ces droits en tant que droits de groupes, auxquels on a ajouté des mesures de discrimination positive.

A. Le principe des droits collectifs

Ces droits visent à assurer en particulier:

la protection de l'existence des minorités: il s'agit d'interdire toute tentative d'élimination des minorités du territoire de l'État par l'extermination physique (génocide) ou par l'expulsion (nettoyage ethnique),cette dernière pouvant s'effectuer à l'extérieur ou même à l'intérieur du pays; nous sommes ici dans le prolongement logique de la protection déjà octroyée à tous les "groupes défavorisés", notamment par les instruments internationaux contre le génocide et toutes les formes de discrimination;

la protection de l'identité des minorités: il s'agit de préserver les minorités contre leur destruction culturelle ou ethnocide, ce qui se réalise entre autres par des mesures d'assimilation forcée, de déplacement des minorités, ou de modification des proportions de la population dans les régions où vivent les minorités.

Ainsi, en protégeant les minorités contre la destruction physique, mais aussi la destruction culturelle, la communauté internationale cherche à combler les lacunes de la Convention de l'ONU de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui punit le génocide dit "physique et biologique", mais ignore le génocide dit "culturel ou ethnocide".

Les droits collectifs ont également pour objectif de permettre la participation effective de la minorité comme telle, au niveau national et, le cas échéant, au niveau régional, aux décisions qui concernent le groupe ou les régions dans lesquelles il vit, ceci afin de réduire ou le risque de marginalisation des minorités et de favoriser la stabilité des pays. Les droits collectifs autorisent de même les minorités à établir des contacts entre elles à l'intérieur des États ainsi qu'au-delà des frontières de ceux-ci.

Les droits collectifs consacrent par ailleurs la liberté pour les minorités de créer et de gérer leurs propres associations. Les minorités peuvent ici constituer des organisations représentatives propres, ce qui est un droit important, surtout dans le cadre de la reconnaissance aux minorités de la personnalité juridique. L'action des organisations des minorités pourra s'articuler autour:

B. La discrimination positive

Comme nous l'avons déjà dit, la non-discrimination implique la garantie formelle de l'uniformité de traitement de tous les individus. Or, il peut arriver que l'application d'un traitement égal à la majorité et à la minorité, dont la condition et les besoins sont différents, aboutisse à une inégalité de fait. La Cour permanente de Justice internationale l'avait souligné dans son avis du 6 avril 1935 relatif aux écoles minoritaires en Albanie, et avait proposé comme solution la nécessité de traitements différents afin d'obtenir un résultat qui établisse l'équilibre entre des situations différentes.

Les intérêts spécifiques des minorités - à savoir la préservation et le développement de leur identité - peuvent donc justifier l'adoption en leur faveur de mesures spéciales. Appelées également discrimination positive, ces mesures ne doivent pas être considérées comme des privilèges, mais comme des mesures permettant aux minorités de bénéficier d'un traitement préférentiel compensateur de l'inégalité dont elles sont victimes vis-à-vis des majorités. La discrimination positive permet ainsi aux minorités d'acquérir l'égalité réelle avec les majorités, mais ne doit évidemment pas avoir pour conséquence de défavoriser indûment les majorités. Cela signifie que ces mesures doivent être adéquates et proportionnelles, c'est-à-dire ne pas avoir une durée plus longue ou une portée plus large qu'il n'est nécessaire pour atteindre l'objectif recherché de pleine égalité, et éviter aussi bien la violation des droits des autres que la discrimination à leur égard.

Prudence donc des États vis-à-vis de la discrimination positive, prudence encore plus renforcée de leur part pour ce qui est des "peuples - minorité".
 

III. Le droit des peuples

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (ou droit à l'autodétermination des peuples) a un contenu multiple. Traditionnellement, le droit à l'autodétermination revêt une signification interne et une signification externe. En droit interne, l'aménagement des structures de l'État afin de mieux prendre en compte les intérêts des minorités concentrées est largement reconnu: la décentralisation, l'autogestion, l'autonomie régionale et le fédéralisme sont, entre autres à cet effet, des solutions mises en oeuvre par plusieurs États à travers le monde. Cependant, seule la signification externe de l'autodétermination des peuples nous intéresse ici, dans son acceptation de droit d'accéder à l'indépendance, au rang d'État.

L'unanimité s'est effectuée, notamment à l'ONU, pour reconnaître le droit d'accéder à l'indépendance aux peuples "dépendants", à savoir ceux qui sont soumis à la domination coloniale, à l'occupation étrangère et à un régime raciste. S'agissant d'autres peuples que les peuples "dépendants", le droit international se montre extrêmement réservé quant à leur droit d'accéder à l'indépendance. L'obstacle principal demeure ce qu'on a appelé l'"hypocrisie" internationale, ce sentiment très répandu que la communauté internationale pratique deux poids et deux mesures en affirmant le droit à l'autodétermination des populations coloniales et en refusant ce droit aux autres peuples. Aujourd'hui, le véritable enjeu du droit d'accéder à l'indépendance réside dans son ouverture aux peuples "non dépendants" en général et, pour ce qui nous concerne, aux "peuples-minorité" en particulier, l'expression "peuples-minorité" s'appliquant uniquement aux minorités concentrées sur un territoire propre, qui revendiquent la possibilité de se déterminer librement, revendication pouvant aller jusqu'à la sécession.

 

A. La dialectique entre le peuple et la minorité

La question qu'on peut se poser est celle de savoir si les minorités peuvent constituer des peuples. La Déclaration universelle des droits des peuples d'Alger a expressément reconnu cette qualité aux minorités. Mais cette Déclaration, adoptée le 4 juillet 1976 par un groupe de personnalités insatisfaites des textes des Nations Unies jugés insuffisants du point de vue de la défense des droits des peuples, n'est pas, à la différence des Déclarations des Nations Unies, une recommandation de l'Organisation, elle n'est qu'un document doctrinal. Toutefois, la "thèse d'Alger" continue à avoir des partisans.

En effet, de plus en plus on commence à considérer qu'il n'y a aucune différence de nature entre une minorité et un peuple, ces deux expressions pouvant s'appliquer aux mêmes entités. Dans l'exemple de l'ancienne Yougoslavie, notamment, les Croates et les Slovènes étaient qualifiés de "nationalités", le terme minorité étant officiellement contesté et remplacé par celui de nationalité; mais ces nationalités-minorités par rapport à la majorité relative serbe ont disposé d'elles-mêmes comme des peuples à part entière, sont devenues majoritaires au sein d'États souverains et ont produit, à leur tour, leurs propres minorités qui se considèrent comme des éléments d'un autre peuple (par exemple la minorité serbe de Croatie).En conclusion, dans le cadre des "peuples-minorité", il existe une relation constante entre les peuples et les minorités, les termes s'inversant selon l'indépendance de l'entité considérée: un peuple peut être défini comme une minorité qui est parvenue à accéder à son indépendance, et une minorité comme un peuple en puissance dans la perspective de son accession éventuelle à l'indépendance. 

B. Le droit à l'"autodétermination-sanction" des "peuples-minorité"

Les États ont sans doute raison de craindre l'extension de la notion de peuple aux minorités et la reconnaissance à ces dernières du droit d'accéder à l'indépendance qui menacera leur unité et leur intégrité territoriale. Néanmoins, il n'est pas tout à fait rare que l'on reconnaisse que dans certains cas particuliers, les minorités pourraient bénéficier du droit d'accéder à l'indépendance et faire sécession d'avec l'État sur le territoire duquel elles vivent.

Effectivement, déjà en 1921, la SDN avait admis, dans le conflit entre la Suède et la Finlande à propos des Îles d'Aland, que le droit à la sécession des minorités pouvait être exercé dans certaines circonstances exceptionnelles comme remède contre un abus manifeste des droits de celles-ci, en d'autres termes, lorsque l'État n'a pas la volonté ou le pouvoir d'édicter et d'appliquer des garanties justes et efficaces en faveur des minorités.

Sans passer systématiquement en revue les textes et la pratique de la communauté internationale, on se bornera à citer "la Déclaration et le Programme d'action" adopté par la Conférence mondiale de l'ONU sur les droits de l'homme, le 25 juin 1993 à Vienne, qui proclame: "En application de la Déclaration (de 1970) relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, ce qui précède (la reconnaissance du droit à l'autodétermination des peuples "dépendants") ne devra pas être interprété comme autorisant ou encourageant toute mesure de nature à démembrer ou compromettre, en totalité ou en partie, l'intégrité territoriale ou l'unité politique d'États souverains et indépendants respectueux du principe de l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples et, partant, doté d'un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction aucune".

Interprétant cette disposition de la Déclaration de Vienne relative aux peuples "non dépendants", Asbjorn Eide, membre de la Sous-Commission de l'ONU de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, et Rapporteur spécial de l'étude sur les "Moyens possibles de faciliter la solution par des voies pacifiques et constructives de problèmes dans lesquels des minorités sont impliquées", déclare que l'État souverain doit être "doté d'un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction aucune"; ce n'est que si les représentants d'un groupe vivant en communauté compacte dans une division administrative de l'État, peuvent établir qu'il n'existe aucune perspective de voir le gouvernement devenir représentatif de la totalité de la population dans un avenir prévisible qu'ils peuvent avoir le droit d'exiger l'indépendance et de recevoir un appui dans cette requête; s'il peut être prouvé que la majorité conduit à l'encontre du groupe une politique de génocide, par exemple, il s'agit là d'un argument très fort à l'appui des revendications d'indépendance.

Cette position rejoint la thèse de l'"autodétermination-sanction" déjà défendue, comme nous l'avons vu, par la SDN: la sécession ne pourrait se concevoir qu'à titre de sanction contre l'État qui ne respecte pas son obligation de protéger les droits des minorités. Et pour la Commission d'arbitrage de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie (appelée également "Commission Badinter", du nom de son Président), l'obligation de l'État de respecter les droits des minorités est devenue maintenant une norme impérative du droit international général, une règle de jus cogens.

Toutefois, cette norme politique "toute fraîche" est encore l'objet de contestations de la part de certains États et membres de la doctrine, et indépendamment de la question de savoir si elle devenue une règle de jus cogens, elle s'accompagne, dans la logique de la relation constante que nous établissons entre les peuples et les minorités, de notre principe d'"autodétermination-sanction", applicable comme recours ultime contre l'État qui ne respecte pas les droits collectifs des minorités. Dans le cas de l'ancienne Yougoslavie, la communauté internationale "a constaté" le processus de dissolution de cette République. Mais cela ne signifie pas que cette communauté a reconnu l'existence d'un droit à la sécession au profit des "peuples-minorité": un tel droit n'existe pas encore en droit international. Et le précédent de la sécession des "peuples-minorité" de l'ancienne Yougoslavie reste encore aujourd'hui un cas unique.

Conclusion

Les problèmes des minorités sont très complexes. Les minorités elles-mêmes sont aussi nombreuses et diverses. Il ne peut, dès lors, être question d'établir des règles générales, des systèmes uniformes qu'ils suffirait ensuite de copier. Néanmoins, dans la plupart des cas, trois types de droits doivent être reconnus aux minorités: des droits individuels au profit des personnes y appartenant, des droits collectifs en faveur des groupes minoritaires et le droit des peuples à l'intention des "peuples-minorité".

La première catégorie ne fait pas problème. Le respect des droits individuels généraux et spéciaux des membres des minorités figure dans plusieurs conventions internationales (obligatoires) relatives aux droits de l'homme.

Plus problématique est la reconnaissance des droits collectifs des groupes minoritaires. Leur consécration dans les textes internationaux est toute récente, et reste encore au stade d'un engagement politique des États.

Encore plus incertaine est la possibilité pour les "peuples-minorité" de bénéficier d'un droit des peuples "non dépendants" d'accéder à l'indépendance. Un tel droit n'existe encore, à notre avis, qu'en l'état de virtualité qui, comme toute potentialité, ne peut produire que selon la fortune des circonstances, et parfois également l'intérêt du moment des États, spécialement les grandes puissances.
 

Bibliographie sélective

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Isse Omanga Bokatola est juriste spécialisé en droit international des droits de l'Homme et conseiller auprès du Cifedhop.

  

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