Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
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Le droit au d�veloppement
Par Isse Omanga Bokatola
I. Notions et d�finitions
Avant de traiter du droit au d�veloppement, quelques mots sur la notion de d�veloppement.
La notion de d�veloppement ne peut pas se comprendre sans celle de sous-d�veloppement. Sans l'existence du sous-d�veloppement, on ne peut pas parler de d�veloppement; c'est parce qu'il y a des hommes d�velopp�s que nous avons en face des hommes sous-d�velopp�s et inversement.
Toutefois, l'existence du d�veloppement de certains (Nord) n'explique pas � elle seule la r�alit� du sous-d�veloppement des autres (Sud) :
il y a des raisons du Nord qui expliquent le sous-d�veloppement, par exemple : la d�t�rioration des termes de l'�change, le soutien � des r�gimes de r�pression ou � des dictatures, le poids de la dette...;
il y a des raisons propres au Sud pour expliquer le sous-d�veloppement, par exemple : la fuite des capitaux (des cerveaux), l'absence ou la d�ficience des infrastructures, l'insuffisance de la formation professionnelle et technique...
La notion de d�veloppement est une notion extr�mement complexe.
Complexe d'abord parce que le d�veloppement, loin d'�tre un mod�le � copier, est une attitude d'adaptation constante face � l'�volution du monde (Boutros Boutros-Ghali).
- Complexe ensuite parce que le d�veloppement ne se r�duit pas au seul d�veloppement �conomique, mais contient une dimension sociale, politique, culturelle, psychologique... On rejoint ici les concepts de "d�veloppement global, de "d�veloppement humain"; on revient donc � ce qu'on avait oubli� pendant quelques d�cennies, � savoir que fondamentalement, le b�n�ficiaire du d�veloppement c'est l'Homme, et le d�veloppement, d'une certaine fa�on, devrait permettre d'�largir la gamme de choix qui s'offrent � l'Homme, c'est-�-dire lui permettre de vivre en faisant autre chose que chercher les moyens d'une difficile survie au jour le jour, ou se demander ce qui adviendra de lui le lendemain.
- Enfin, le d�veloppement d�pend � la fois de soi-m�me et des autres. Sans aucun doute, le d�veloppement de l'Afrique - ce qui nous int�resse ici - est d'abord de la responsabilit� des Africains. Mais le devoir de solidarit�, les relations Nord-Sud, font que les sorts du Nord et du Sud sont �troitement li�s.
Ainsi, deux aspects � cette analyse du droit au d�veloppement :
- le d�veloppement, affaire de soi-m�me; sur le plan africain, cela se concr�tise par l'affirmation du droit au d�veloppement consacr�e dans les textes africains, en particulier dans la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP) - "droit m�r", c'est-�- dire un droit obligatoire pour les �tats parties;
- le d�veloppement d�pend aussi des autres; sur le plan universel, c'est la proclamation du droit au d�veloppement dans les recommandations de l'ONU, en particulier la D�claration des Nations Unies sur le droit au d�veloppement - "droit vert", c'est-�-dire un droit non obligatoire qui a besoin de "m�rir" pour devenir obligatoire.
II. Sur le plan africain
Tout d'abord, de fa�on g�n�rale, il faut savoir que le droit au d�veloppement fait partie des droits dits de la troisi�me g�n�ration, avec le droit � la paix et le droit � l'environnement. (Rappel: premi�re g�n�ration : les droits civils et politiques : abstention de l'�tat; deuxi�me g�n�ration: les droits �conomiques, sociaux et culturels : prestation de l'Etat; troisi�me g�n�ration : droits de solidarit� des �tats entre eux et de la communaut� internationale)
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1. Les textes
Dans la Charte Africaine , le droit au d�veloppement est mentionn� dans les paragraphes 3 et 7 du Pr�ambule ainsi que dans l'article 22, paragraphes 1er et 2�me. La Charte Africaine entend le droit au d�veloppement � la fois comme un droit de l'homme et un droit des peuples, mais pour la Charte africaine , il ne s'agit en tout cas pas d'un droit des �tats, ceux-ci n'ont que le devoir, s�par�ment ou en coop�ration, d'assurer l'exercice de ce droit (comme le d�clare l'article 22 paragraphe 2).
Cependant, la Charte Africaine ne d�finit pas le droit au d�veloppement. Pour simplifier, sans �tre simpliste, on peut dire que pour les P�res de la Charte Africaine , le droit au d�veloppement est le droit au bien-�tre, le droit de vivre mieux, en quelque sorte une synth�se entre les droits civils et politiques d'une part et les droits �conomiques, sociaux et culturels d'autre part.
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2.L'application des textes
Comment l'Afrique, en particulier comment l'Organisation de l'Unit� Africaine (OUA) essaie-t-elle de mettre en oeuvre ce droit au d�veloppement?
Cela se fait � travers ce qu'on peut appeler le "consensus d�gag�" au sein de l'OUA sur la coop�ration �conomique et technique. En effet, la crise du p�trole des ann�es 1973-1974 a d�cid� l'OUA � accorder plus d'attention aux probl�mes du d�veloppement. Cela a conduit � l'adoption, d'une part, de la Strat�gie de Monrovia ou "Quelle Afrique en l'an 2000?", qui est le rapport final du Colloque de Monrovia de 1979 sur les perspectives de d�veloppement et de croissance en Afrique � l'horizon 2000, d'autre part, du Plan d'action de Lagos de 1980 en vue de la mise en oeuvre de la strat�gie de Monrovia pour le d�veloppement �conomique de l'Afrique. Le plan d'action de Lagos est devenu la charte fondamentale de l'OUA dans le domaine du d�veloppement. Sa philosophie premi�re - ou son objectif principal - est l'autosuffisance et l'autonomie alimentaire nationale et collective de l'Afrique. La coop�ration �conomique voulue par le Plan (et confirm�e par la D�claration d'Abuja - Nigeria, 3 juin 1991) doit s'instaurer aux niveaux sous-r�gional, r�gional et continental en Afrique, et devra tendre � l'�tablissement ult�rieur d'un march� commun africain, pr�lude � une Communaut� �conomique Africaine.
L'adoption du plan d'action de Lagos de 1980 constitue un grand moment dans l'histoire de l'OUA qui, apr�s la r�alisation de ses objectifs politiques (comme la d�colonisation ou la lutte contre l'apartheid), a d�cid� de se consacrer au deuxi�me objectif de sa Charte � savoir le d�veloppement. Seulement, ce plan est mal connu, mal diffus� et tr�s peu appliqu�, faute de suffisamment de volont� politique et, surtout, faute de moyens.
III. Sur le plan universel
1. Les textes
Ce sont en particulier les recommandations et d�clarations de l'ONU qui sont la source principale du droit au d�veloppement. Nous sommes ici en pr�sence de ce que j'appelle le "droit vert", c'est-�-dire un droit non obligatoire pour les �tats.
Le texte universel le plus important en cette mati�re est la D�claration sur le droit au d�veloppement , adopt�e par l'Assembl�e g�n�rale de l'ONU le 4 d�cembre 1986, qui fait partie de tout ce processus de contestation ou de revendication des �tats du Sud vis-�-vis des �tats du Nord.
La D�claration contient dix articles, en plus d'un pr�ambule de seize consid�rants. Elle d�finit ou essaie de fixer les caract�res du droit au d�veloppement dans son article premier paragraphe 1er, en d�clarant que "le droit au d�veloppement est un droit inali�nable de l'homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer � un d�veloppement �conomique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l'homme et toutes les libert�s fondamentales puissent �tre pleinement r�alis�s et de b�n�ficier de ce d�veloppement".
Pour les auteurs de la D�claration , les droits de l'homme englobent � la fois les droits de la personne et les droits des peuples. Ainsi, il n'y a droit au d�veloppement que lorsque tous les droits de l'homme, toutes les libert�s fondamentales, sont pleinement r�alis�s, et le droit au d�veloppement suppose la pleine r�alisation du droit des peuples � disposer d'eux-m�mes, droit qui comprend l'exercice du droit inali�nable � la pleine souverainet� sur toutes les richesses et les ressources naturelles.
L'existence d'un v�ritable droit au d�veloppement suppose la participation active, libre et utile, de l'ensemble de la population et de tous les individus � la r�alisation de ce d�veloppement, de m�me que la r�partition �quitable des avantages qui en r�sultent.
Le d�veloppement dont il est question doit avoir pour but l'am�lioration constante du bien-�tre des individus . Il faut noter que l'on retrouve ici cette notion de bien-�tre essentiel � la notion de droit au d�veloppement, comme nous l'avons d�j� indiqu�.
Pour que les peuples et les individus puissent jouir convenablement du droit au d�veloppement, il est indispensable qu'une action soutenue soit men�e afin que les pays en d�veloppement acc�dent plus rapidement � un mieux-�tre. Ainsi, une assistance internationale efficace est essentielle pour donner aux pays en voie de d�veloppement les moyens de soutenir un d�veloppement global. Il est certain que l'aide aux pays en d�veloppement est une des conditions essentielles � la jouissance pleine et enti�re du droit au d�veloppement. Il est donc tout � fait normal que la D�claration de l'ONU pr�voie que l'assistance internationale est indispensable pour r�aliser le d�veloppement �conomique et social des �tats du Sud. Cette assistance n'est pas �rig�e en droit purement et simplement. Mais en la d�clarant condition "essentielle", la D�claration insiste sur le devoir moral des �tats � s'aider mutuellement en vue du d�veloppement.
En cernant de plus pr�s le �l�ments constitutifs du droit au d�veloppement, on peut dire que:
2. L'application des textes
Comment l'ONU essaie-t-elle de mener son action en faveur du d�veloppement de l'Afrique ? L'Organisation essaie d'orienter ses efforts dans quatre directions.
- L'ONU essaie d'aider l'Afrique � diversifier son �conomie. Exemple : cr�ation, au sein de la BAD, d'un Fonds de diversification pour les produits primaires africains.
- L'ONU et la communaut� internationale essaient de trouver des solutions au probl�me de la dette africaine, car le redressement et le d�veloppement �conomiques de l'Afrique seront difficiles tant que persistera le probl�me de la dette. Exemples : initiatives nouvelles dans le cadre du NADAF (Nouvel ordre du jour pour le d�veloppement de l'Afrique), ou du Club de Paris o� on essaie d'annuler ou de r��chelonner la dette de certains �tats, le tout accompagn� de PAS (plan d'ajustement structurel).
- L'ONU essaie de renforcer ses actions en faveur de la formation en Afrique, notamment � travers le Programme des Nations Unies pour le d�veloppement (PNUD) et l'UNICEF, ainsi que sa collaboration avec les ONG.
Par ailleurs, la conception actuelle de l'ONU est que le d�veloppement ne constitue pas un objectif autonome en lui-m�me, mais doit se conjuguer avec d'autres objectifs fondamentaux de l'Organisation, en particulier l'imp�ratif de la paix et la promotion de la d�mocratie.
L'imp�ratif de la paix est essentiel pour le d�veloppement de l'Afrique. Sans la r�solution des conflits qui d�chirent le continent africain, il est impossible de mettre en oeuvre des politiques de d�veloppement cr�dibles, car celles-ci ont besoin d'un minimun de stabilit� et de continuit� pour porter des fruits. Ainsi, pour le NADAF, "la paix est la condition sine qua non du d�veloppement". On comprend alors les missions de maintien de la paix de l'ONU en Angola, au Mozambique, au Rwanda, pour ne citer que ces quelques exemples.
Autant que la paix, l'imp�ratif de d�mocratie est primordial car la d�mocratie est une garantie de la paix et sans elle, c'est-�-dire aussi sans le respect des droits de l'homme, un d�veloppement solide et durable est inimaginable. L'ONU participe ainsi � l'organisation d'�lections libres, � la reconstruction d'institutions politiques , d�mocratiques, les diff�rentes missions des NU...�tant l� pour nous le prouver. Il faut cependant reconna�tre que la d�mocratie n'est ni la condition, ni la clef du d�veloppement; les exemples des quelques �tats africains qui connaissent le pluralisme politique obligent � ce constat.
Un autre constat est que malgr� certains efforts de la communaut� internationale, l'Afrique demeure largement un continent sinistr�. Il est ainsi n�cessaire de continuer � mobiliser les ressources, les moyens, et surtout l'imagination. Nous devons tous, et les Africains les premiers, r�viser nos sch�mas de r�flexion et mettre en oeuvre des actions con�ues avec un souffle nouveau.
Certains secteurs de la population africaine, en particulier la soci�t� civile ou des ONG, montrent d�j� des exemples de sch�mas de r�flexion nouveaux et de mise en oeuvre de strat�gies et d'actions nouvelles. L'ONU se propose d'ailleurs d'associer les ONG � la pr�paration du rapport que le Secr�taire G�n�ral de l'Organisation doit pr�senter en 1998 � l'Assembl�e g�n�rale sur la paix et le d�veloppement de l'Afrique. Puisse ce rapport ne pas �tre un "rapport de plus", mais plut�t le "bon rapport".
Isse Omanga Bokatola est juriste et enseigne aux universit�s de Gen�ve et de Lausanne. |
� CIFEDHOP 2008