Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix


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Vues d'Afrique n° 2

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Droits de l'homme et démocratie

Par Jean-Baptiste Hounton

 

I. Des concepts à préciser

1.1 Les droits de l'homme

Les droits de l'homme, c'est un concept mobilisateur. Tout le monde peut s'accorder à affirmer avec Patrick Wachsmann(1992) que la notion des droits de l'homme est «une conception de l'universel ».

En effet, les droits de l'homme peuvent se comprendre comme étant la recherche de l'essence même de l'homme, quel qu'il soit: sa dignité et son respect. L'universel dans l'humain est ainsi sauvegardé par les droits de l'homme. Les droits de l'homme, comme l'a affirmé Boutros Boutros-Ghali(1993a) à l'ouverture de la deuxième conférence mondiale sur les droits de l'homme, c'est «l'irréductible humain...(Ils) constituent le langage commun de l'humanité grâce auquel tous les peuples peuvent, dans le même temps, comprendre les autres et écrire leur propre histoire ».

Les droits de l'homme visent à satisfaire les besoins spécifiques de l'homme, car l'on peut concevoir qu'ils sont la codification des besoins fondamentaux de l'humain aux fins de son développement et de son épanouissement.

Selon Leah Levin (1981), la notion de droits de l'homme comporte, justement, deux aspects fondamentaux: «premièrement, l'homme, du seul fait qu'il est homme, jouit de droits inaliénables. Ces droits moraux découlent de ce que chaque homme est un être humain; ils visent à garantir sa dignité. Deuxièmement, il existe des droits légaux, institués conformément aux règles juridiques en vigueur dans les sociétés, tant nationales qu'internationales. Ces droits ont leur fondement non dans l'ordre naturel,... mais dans le consentement des gouvernés, c'est-à-dire des sujets des droits».

Les droits de l'homme sont patrimoine de l'humanité. Ce n'est point une exigence pour les uns et un luxe pour les autres, car ils traitent des problèmes généraux de l'homme, ce que recouvrent les droits civils et politiques ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels.

1.2 La démocratie

David Beetham et Kevin Boyle (1995) ont mis l'accent sur un élément de définition de la démocratie qui me paraît d'une importance capitale au regard des droits exercés par les masses dans le système démocratique: la prise de décision collective. Ces auteurs affirment, en substance, que «la démocratie appartient à la sphère définie par le processus de prise de décision collective. Elle est l'incarnation de l'idéal selon lequel les décisions qui engagent [un groupe de gens] dans son ensemble, doivent être prises par tous les membres ».

Une telle approche rejoint celle de Jean Baechler qui dit que la démocratie est «d'abord un contrat ou un noeud de contrats, liant entre eux, selon des termes définis, des acteurs individuels et collectifs». C'est une série d'engagements pris entre des gens d'un groupe déterminé sur la base d'un idéal d'actions collectives.

Le terme de contrat paraît assez juste, car il nous met en situation d'échange, de communication entre partenaires. Cela s'explique, au fait, par les deux principes fondamentaux de la démocratie: le contrôle du processus de prise de décision collective et l'égalité des droits par le peuple assimilable ici à des contractants.

Pour ma part, la démocratie devrait être un système fondé sur la liberté des gens qui doivent savoir choisir et adhérer librement à un projet ou non. La gestion de soi importe beaucoup dans la réalisation des intérêts objectifs, collectifs et généraux.

La démocratie, contrairement à l'autocratie fondée sur la puissance, et à la hiérocratie basée sur l'autorité, s'inscrit dans le principe de direction, c'est-à-dire dans l'obéissance à l'idéal commun décidé ; tous regardent dans la même direction déterminée ensemble et exercent ainsi leur souveraineté. C'est, à tout point de vue, un état d'être: quel que soit le lieu où il se trouve, le démocrate est quelqu'un qui tente toujours de décider avec les autres. La démocratie paraît alors un processus dynamique qui oriente les partenaires, individuellement et collectivement. Des rapports entre les droits de l'homme et de la démocratie pourraient alors être établis.

1.3 Rapports entre droits de l'homme et démocratie

La problématique centrale des deux concepts concerne la place de l'individu dans la société, par rapport à l'État et aux pouvoirs publics.

Ces deux concepts portent à aider l'homme à mieux vivre et à s'assumer librement et pleinement. C'est pourquoi, selon moi, le fait garantir les libertés, c'est également apprendre à l'homme à assumer celles-ci pour faire de lui un démocrate. L'homme est le destinataire de ces concepts.

Droits de l'homme et démocratie renvoient également au libre consentement des populations aux idéaux de paix et à la recherche de valeurs qui renforcent la dignité humaine : paix, justice, respect (de l'autre dans sa différence), l'unité... Tout se joue par rapport à la conscience des hommes à qui il faut permettre de s'édifier pour qu'ils vivent leur liberté, consciemment.

II. La démocratie en tant que lieu d'exercice des droits de l'homme

2.1 Finalité

La démocratie peut être envisagée logiquement comme la finalité de tout régime politique fondé sur la participation du peuple, en particulier les régimes démocratiques qui se fondent sur l'exercice des droits de l'homme. Tous ces régimes n'exigent-ils pas l'application des droits et devoirs du citoyens? Sans cette exigence, ils ne peuvent être que des dictateurs ou «des démocrates de façade».
 

2.2 Composantes

Le régime démocratique est logiquement un régime de droits ; on y parle souvent d'un État de droit : les droits de l'homme doivent y être appliqués. On parle aussi du droit à la démocratie, car la démocratie fait appel à tout l'homme.

C'est pourquoi, dans les sociétés démocratiques, la protection des droits de l'homme est une préoccupation majeure, ce qui passe absolument par un certain nombre de composantes de la démocratie.

Il y a d'abord les composantes qui découlent des normes internationales. Il faut relever ensuite que les composantes de la démocratie mettent en exergue des notions et des concepts qui découlent de l'idée avancée plus haut, à savoir l'exercice du processus de décision. Il y a également les élections libres et équitables fondées sur la concurrence.

Vient enfin l'exigence de la transparence de la part du gouvernement. En effet, ce dernier couvre plusieurs aspects de la vie du citoyen: aspect juridique de la responsabilité publique(l'organisation des tribunaux); aspect politique(politique et action à justifier); la garantie des droits(libertés fondamentales) et la société civile. L'application des droits de l'homme dans une société démocratique s'appuie sur des principes qui découlent des normes internationales dont la possibilité de recourir aux institutions juridiques(tribunaux, constitution...), sur l'utilisation des médias et, enfin, sur l'enseignement des droits de l'homme.

III. Des obstacles à la démocratie

3.1 La pauvreté

Le premier facteur affaiblissant la démocratie dans les pays de jeunes démocraties, c'est d'abord la pauvreté. Il est facile d'observer que des populations vivent dans une pauvreté et dans une précarité croissantes. Le chômage et les licenciements, la dévaluation du Franc CFA sont à inclure dans les facteurs de la pauvreté matérielle.

Le contexte de l'établissement même de la démocratisation n'est pas des plus propices. La mise en oeuvre des politiques d'ajustement structurel crée et creuse des inégalités dans les sociétés et accroît la pauvreté. L'intervention de Mgr Helder Camara(1991) lors du Séminaire d'Experts latino-américains sur «les droits de l'homme, la démocratie et le développement économique et social» tenu à Santiago, en décembre 1991, faisait d'ailleurs état des impacts de l'extrême pauvreté sur le processus démocratique.

Il y a aussi la pauvreté morale. Si l'intention d'installer la démocratie a reçu un peu partout l'aval de nos populations, l'on est cependant porté à se demander si celle-ci évoque un vrai contenu pour les masses. Démocratie, État de droit... ces termes sont-ils compris semblablement de nous et de nos concitoyens analphabètes ? Ne sont-ils pas assimilables seulement aux élections au cours desquelles on attend d'ailleurs des pourboires, des promesses ? ...

De plus, serait-il erroné de penser que l'Afrique n'est pas encore sortie de l'étau des puissances politiques et économiques ? Ce qui se passe sur notre continent est éloquent: un bilan des démocraties en Afrique le prouverait aisément. Tout se passe entre les partenaires des pays et leurs dirigeants sur la base de leurs intérêts; les premiers n'hésitent pas à se montrer désormais à visage découvert, une fois qu'ils ont travaillé à faire gaspiller les maigres ressources matérielles, humaines et financières de nos peuples et à aider à des tueries des paisibles citoyens. Est-ce la démocratie voulue ? Parlant du tiers monde et les droits de l'homme, Boutros Boutros Ghali(1998), exigeait une autodétermination pure: le néocolonisé ne peut se réaliser sans cela car, dit-il, «pour profiter des droits de l'homme, il faut ne pas se sentir étranger parmi les siens».

3.2 La tribalisation de la démocratie

Des valeurs «dégradées» dénaturent la démocratie. Ainsi es est-il du tribalisme, de l'ethnocentrisme et du régionalisme qu'exploitent les partis politiques. La corruption et le laxisme ont tôt fait de se mêler à la fausseté dans le jeu démocratique, pour le dénaturer.

L'éducation à la cohabitation entre les cultures peut être une solution. Aussi, les vrais partis démocratiques de nos pays doivent-ils apprendre à convaincre les populations de leurs programmes d'actions, au lieu de miser sur des considérations subjectives comme, par exemple, les liens par le sang, l'attrait de l'argent ou la force de l'amitié...Les vrais démocrates doivent alors construire des actions mobilisatrices objectives et éduquer les masses à leur compréhension pour qu'elles assument leur libre choix, car la démocratie doit devenir, en dépit de tout, une réalité partout, pour que le monde avance.

 

IV. La promotion d'une culture démocratique

4.1 Des vertus démocratiques

La lutte pour les droits de l'homme et de la démocratie passe par la recherche des valeurs -ou vertus- capables de promouvoir une vraie culture démocratique. Il s'agit de faire acquérir des habitudes et des aptitudes à la démocratie. Au nombre de celles-ci, mentionnons, d'abord, la vertu économique (faire des producteurs déterminés, conscients et francs). C'est l'exercice du droit de participation à la vie économique du pays.

Il y a ensuite les vertus civiques. Elles portent sur les valeurs telles que le courage (pour toujours faire part des intérêts particuliers et généraux ), la tolérance (la prédisposition à se surpasser, à surmonter les différences de points de vue), le dévouement à la cause commune, la maîtrise de soi...

Enfin, les vertus politiques sont à solliciter: la détermination à assumer une tâche politique publique comme une mission de groupe. Pour cela, il faut la tempérance, la prudence, la paix, l'esprit de compromis, de justice et l'honnêteté car ces notions ne peuvent se vivre efficacement si la culture démocratique n'est pas une réalité quotidienne. Ces vertus sont porteuses des droits de l'homme.
 

4.2 De l'éducation aux Droits de l'homme et de leur enseignement

Comme le stipule l"article 40 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, l'enseignement des droits de l'homme doit être une tâche de l'heure, tant au niveau de l'État que de la société civile. En effet, l'éducation à la citoyenneté exige l'apprentissage du fonctionnement démocratique.

A notre époque, il est indispensable d'envisager l'enseignement des droits de l'homme dans le cadre de la culture générale (intellectuelle, artistique et physique), de l'instruction civique (droits, devoirs, responsabilités du citoyen). Il faut promouvoir l'enseignement des valeurs éthiques porteuses des droits de l'homme; s'inscrivent ici aussi les notions comme la sexualité, la vie de couple et de famille, l'éducation des enfants, le respect de «l'autre»...

Aux fins de cette éducation, il faut développer des pédagogies et méthodes accessibles et adaptées aux populations: il conviendra de rompre avec la pédagogie rigide, conventionnelle, faite du «dire et d'imitation du maître». En effet , on ne raconte pas les droits de l'homme, mais l'on en fait prendre conscience. Et c'est alors par une pédagogie active que nous devons nous tourner, celle qui place l'éducation aux capacités, aux comportement et aux valeurs au service du développement humain et socio-économique durable.

Un de ces moyens pédagogiques -en éducation non formelle surtout- consiste en la représentation théâtrale. L'étude même des articles dans les grandes classes et la réflexion sur les implications dans la vie quotidienne est un autre procédé.

Par ailleurs, l'État doit décider de l'urgence de l'enseignement des droits à l'école et de prendre les mesures nécessaires en conséquence: la formation des enseignants et des formateurs, l'élaboration des programmes et cela, dans le cadre d'une expérimentation d'abord et sa généralisation ensuite. Des décisions doivent également être prises au plan de l'enseignement interdisciplinaire. À cet égard, il conviendrait de partir de l'évaluation des expériences en cours dans certaines écoles primaires.

4.3 De l'adaptation de l'arbre à palabre comme un exemple d'«agora»

La démocratie doit se vivre sur un terrain propice au processus de prise de décision. Comme à l'origine de la démocratie, il faut, aux démocraties naissantes, l'instauration d'une sorte d'agora. Ce sera un lieu préservé de toute violence et de ruse et où se construiraient des contrats vivants de société.

L'adaptation de l'arbre à palabres est à envisager comme un lieu de l'exercice de la prise de décision, puisque celle-ci paraît être le moyen et la finalité d'une vie démocratique efficace. Ce sera un forum d'échanges et de partage sur la vie publique des populations.  
 

4.4 Du développement comme finalité de la démocratie et des droits de l'homme

Boutros Boutros-Ghali (1993b), dans son allocution lors de l'ouverture de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, affirmait une certitude: «il ne saurait y avoir de développement durable sans promotion de la démocratie, et donc sans respect des droits de l'homme».

En effet, comme le stipule le premier principe de la Charte des Principes sur les droits humains et le développement, «l'épanouissement des droits humains et le développement sont intrinsèquement indissociables». Le Principe 4, pour sa part, s'appuie sur «le renforcement de l'autonomie des personnes, des collectivités et des peuples pour qu'ils deviennent toujours davantage des acteurs capables de maîtriser leur destin et d'établir des relations juste et équitables entre eux».

Si les droits de l'homme et de la démocratie sont relativement récents dans les préoccupations de nombre d'Africains, le développement, quant à lui, a fait couler beaucoup d'encre, à partir de 1960 surtout: droits de l'homme et démocratie convergent logiquement vers le développement. Aujourd'hui plus que jamais, les rapports entre ces termes doivent être clairement établis: c'est là un des plus grands défis que l'enseignement des droits de l'homme se doit de relever.

En effet, parler des droits de l'homme aux citoyens, c'est en premier lieu leur parler de leur dignité en tant que personne humaine. Cette dignité passe leur autodétermination, leur liberté à se développer et à être maîtres de leur vie et de leur développement.

Parler de démocratie, c'est éduquer les masses à réaliser leur droit de participation à la vie de leur propre communauté et à celle de leur nation. Il s'agit de leur enseigner que cela est une mission humaine et, pourquoi pas, spirituelle et divine. Il importe dès lors d'éduquer à une éthique de développement qui sert de guide à l'action. Faire cela, c'est aider les hommes à être libres, debout ; tel devrait être le but essentiel de l'éducation.

La reconnaissance effective des droits culturels va dans le sens d'une éducation libératrice. C'est un droit pour tous les Africains de rechercher dans leurs cultures respectives des valeurs qui peuvent promouvoir leur développement. Senghor n'a-t-il pas lui-même avancé l'idée de la prise de conscience de notre africanité comme chemin de notre autonomie et de notre développement ?(Boutros Boutros-Ghali, 1988b).

V. Conclusion

Dans le contexte du processus de démocratisation, l'éducation et la formation des populations à leurs droits et devoirs et à l'importance de prendre leur vie en main doit jouer un rôle central. Il s'agit de former des citoyens qualifiés, compétents et capables d'adaptation et de les aider à acquérir des connaissances et des qualités de base qui leur permettront de vivre dignement.

C'est à partir d'une culture démocratique que se construira et s'affirmera notre monde, que se construira et s'affirmera notre éthique de développement.

Par l'enseignement, formel et informel, le processus de démocratisation en cours dans nos pays doit garantir l'application effective des droits de l'homme, car la démocratie bien menée peut promouvoir la paix collective à laquelle aspire le monde.
 
 

Références

Baechler, J.(non daté). Précis de la démocratie. Unesco, p.37 et suiv.

Beetham, D. et al.(1995).Questions et Réponses. Unesco, p.9.

Boutros-Gahli, B.(1988a). «Le tiers monde et les droits de l'homme». Bulletin des droits de l'homme Nations Unies, p. 41.

Boutros-Gahli, B.(1988b). «Le tiers monde et les droits de l'homme». Bulletin des droits de l'homme Nation Unies, p.45.

Boutros-Ghali, B.(1993a).Texte de la déclaration du Secrétaire Général à l'ouverture de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, Vienne, 14 Juin, pp. 7-8.

Boutros-Gahli, B.(1993b). Texte de la déclaration du Secrétaire Général à l'ouverture de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, Vienne, 14 Juin, p.20.

Helder Camara, Mgr.(1991). Séminaire d'experts latino-américains sur «les droits de l'homme, la démocratie et le développement économique et social ». Santiago, décembre.

Levin, L.(1981). Questions et Réponses. Unesco, p.11.

Wachsmann, P.(1992). Les droits de l'homme. Paris: Dalloz.

Jean-Baptiste Hounton est Professeur de lettres à l'Université du Bénin.

   

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