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Vues d'Afrique n° 2

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L'école face à la discrimination à l'égard des femmes
 

Par Minata Tapsoba

 

I. Introduction

La discrimination à l'égard des femmes est une réalité vécue partout dans la famille, dans la communauté et sur les lieux de travail. Cette situation déplorable explique l'adoption, en 1979, par l'Assemblée générale des Nations Unies, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Son rôle est de renforcer les précédents instruments internationaux qui devaient permettre de lutter contre la discrimination persistante à l'égard des femmes.

La nécessité de changer les comportements par l'éducation est au nombre des dispositions en vigueur constamment affirmée. N'est-ce pas là une forme d'interpellation pressante à l'institution scolaire dans sa mission de socialisation et de formation?

L'école est certes le lieu d'affrontement de valeurs contradictoires. Mais c'est aussi le lieu où la générosité et la capacité d'imitation légendaires des enfants et des jeunes constituent des atouts à partir desquels peuvent s'opérer des changements qualitatifs d'attitudes et de comportements importants.
 

II. L'esprit de la Convention

La Convention est venue pour renforcer les dispositions de la Charte internationale des droits de l'homme car l'appartenance des femmes au genre humain n'avait pas suffi à garantir la protection de leurs droits (1). Dans ce sens, la Convention va s'attacher à définir les domaines dans lesquels les femmes ont souffert de discrimination, à énoncer des buts précis à atteindre et des mesures spécifiques à prendre pour rendre effective, l'égalité de principe entre les droits de l'homme et ceux de la femme.

Dès son article premier, la Convention laisse voir clairement son souci de précision, de clarté et d'efficacité. En effet, la définition de la discrimination est formulée de sorte à lever toute ambiguïté dans l'identification de la discrimination. Elle précise en particulier que toutes les différences de traitement ne sont pas des discriminations. Il n'y a discrimination que si la différenciation a pour effet de supprimer l'égalité de droits ou d'y faire obstacle; le terme de discrimination à l'égard des femmes:

«vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine>

La Convention souligne également que l'égalité de traitement de personnes qui ne se trouvent pas dans la même situation perpétuera l'injustice au lieu de l'éliminer. On voit là les limites de l'égalité en droits et la nécessité de s'investir particulièrement dans la recherche des voies et moyens adéquats pour assurer l'égalité de fait.

Dans cette perspective, la Convention recommande aux États parties de ne pas se contenter de modifier les législations en vigueur, mais d'aller plus en profondeur pour engager des changements dans les modes de comportements socioculturels et les schémas traditionnels. Cette entreprise est indispensable pour éliminer les rôles stéréotypés des hommes et des femmes. Il s'agit là d'une préoccupation spécifique de la Convention qui interpelle l'institution scolaire en tant que partenaire incontournable.

C'est ainsi que l'article dix de la Convention portant sur l'égalité dans l'éducation, se présente comme une référence de base pour asseoir la culture démocratique à l'école. La première catégorie de dispositions exige des États parties à la Convention des garanties spécifiques et efficaces de nature à assurer l'égalité d'accès aux programmes d'enseignement, aux autres moyens d'éducation ainsi qu'aux bourses d'études. La seconde catégorie appelle tous les acteurs de l'éducation à une extrême vigilance par rapport aux contenus enseignés, aux attitudes, aux conceptions et aux comportements. La troisième catégorie contient des dispositions visant à «rattraper» le retard des femmes qui n'ont pas pu bénéficier de l'égalité d'éducation dans le passé.

Mais concrètement: comment l'école pourra-t-elle s'y prendre pour que ces dispositions puissent lui inspirer des initiatives de lutte contre la discrimination?

III. L'école face à la discrimination

L'école est une institution sociale et, à ce titre, elle épouse les contours de la société dans laquelle elle évolue. Bourdieu et Passeron (1970) soutiennent que l'école a toujours été et est toujours, dans une certaine mesure, un instrument entre les mains de la classe dominante. Cette dernière lui fait assurer une fonction de reproduction à travers un processus de sélection qui élimine une catégorie d'enfants et de jeunes et qui favorise une élite, les «héritiers». Dans ce sens, le système scolaire, au lieu d'aider à gommer, sinon à diminuer les inégalités sociales, les accepte et même les renforce.

Dans les pays développés, la démocratisation quantitative -que d'aucuns assimilent à la «massification» de l'enseignement-, n'a pas éliminé pour autant la ségrégation interne et cela a comme conséquence une nette inégalité des chances dans la réussite. Ainsi, aller à l'école est une chose et réussir sa scolarité en est une autre que les enfants issus de milieux modestes, ne parviennent pas à franchir.

Dans les pays en voie de développement, les difficultés économiques et les pesanteurs sociales constituent les principaux facteurs qui excluent dès le départ, la majorité des enfants. En général, moins de 50% des enfants vont à l'école alors que la déperdition en cours de cycle est très élevée. Dans la plupart des pays concernés, le souci majeur des populations est de trouver de quoi se nourrir et se mettre à l'abri de certains problèmes élémentaires de santé. D'autre part, la forte implantation de la tradition et de la religion dans les esprits, fait que la plupart des filles sont écartées de l'école, ce qui accentue les facteurs d'exclusion. Dans ces conditions, aller à l'école et pouvoir y faire ne serait-ce qu'un cycle complet, reste un grand privilège réservé à une minorité. On perçoit là facilement l'ampleur du travail à mener dans les pays en voie de développement pour que l'institution scolaire soit un cadre d'éducation à la vie démocratique.

D'après Gaston Mialaret (1991, p. 73), «le système scolaire doit répondre à une double exigence : être un des éléments de la mémoire collective en assurant la conservation, la transmission et le respect de certaines valeurs tout en étant tourné vers l'avenir et être capable de préparer les élèves aux changements inéluctables imposés par les évolutions technique, scientifique, économique, culturelle, linguistique de la société» Une telle vision de l'institution scolaire montre clairement que l'école a un certain rôle de conservatisme à jouer en même temps qu'un rôle certain de préparation à l'avenir. L'équilibre entre ces deux rôles n'est pas toujours facile à trouver et c'est cela qui explique souvent l'ambiguïté du système scolaire et sa difficulté à engager certaines initiatives.

Nous pensons qu'à cet égard, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, en énonçant des dispositions pratiques à observer, se présente comme un instrument juridique incontournable dont l'exploitation judicieuse à l'école contribuera à résoudre certaines contradictions internes au système scolaire. Cela est d'autant plus important que, de nos jours, la plupart des États affirment de plus en plus leur souci d'incarner les valeurs démocratiques dans la vie quotidienne. Dans cette perspective, on s'attend à ce que l'école, en tant que structure formelle d'éducation et de formation, participe à cette entreprise.

IV. Ce que l'école peut faire

Éduquer à la citoyenneté consiste à travailler à implanter les valeurs démocratiques, notamment le respect de la personne humaine, la liberté, l'égalité et la responsabilité dans la vie quotidienne. Cette tâche est complexe et délicate dans la mesure où il ne suffit pas d'enseigner ce que sont les droits de l'homme et de faire comprendre abstraitement ce qu'on peut faire pour leur promotion. Il faut arriver à les mettre en pratique à l'école, dans les classes puis dans la collectivité. En matière d'éducation, en effet, l'expérience montre que les actes ont plus de poids que les paroles. Cela est d'autant plus important que l'école est le lieu de rencontre de valeurs souvent contradictoires, alors que les enfants et les jeunes, naturellement prédisposés à la générosité et à l'imitation, ont besoin de modèles et de repères faibles.

Ces repères et ces modèles fiables, l'école peut les générer et nous estimons que la prise en compte de certaines exigences de l'article dix de la Convention peut, à cet égard, ouvrir des pistes d'action concrète. C'est ainsi que l'exigence d'égalité d'accès à l'éducation se présente à l'école comme une invitation pressante à combattre l'exclusion sous toutes ses formes. L'obligation d'éliminer les conceptions stéréotypées du rôle des hommes et des femmes peut tenir lieu d'invitation à prêcher par l'exemple.

L'école peut combattre l'exclusion et la ségrégation en se forgeant une nouvelles conception de l'éducation et de sa mission même. S'il est vrai qu'on ne peut apprendre la démocratie que dans le cadre démocratique, il faut convenir que la vision impersonnelle et formelle de l'école doit être remplacée par une conception qui voit dans l'école une communauté au sein de laquelle le droit à la parole est garanti. En effet, éduquer dans une perspective démocratique exige que les notions de respect, de dignité et d'individualité soient mises au premier plan. Cela suppose que l'école s'offre désormais à l'élève comme une ouverture au monde au sein de laquelle il puisse trouver les conditions favorables au développement et à l'épanouissement de sa personnalité.

Pour dépasser le stade des bonnes intentions, il est indispensable que les différents acteurs de l'école s'investissent dans la mise en oeuvre et la promotion de tels idéaux. Sur ce point, les enseignants, les élèves les administrateurs d'écoles, les parents et les autorités de l'enseignement doivent trouver les voies et moyens pour coordonner leurs initiatives afin de donner de la cohérence et de l'efficacité à leurs actions. Les élèves ont besoin de l'exemple et de l'appui des enseignants, des administrateurs d'écoles et des parents pour adopter des attitudes respectueuses des droits humains. De leur côté, les enseignants, les parents et les administrateurs ont besoin des autorités de l'enseignement et des structures spécialisées en matière des droits de l'homme pour asseoir stratégies efficaces. Sans synergie entre les différents partenaires de l'école, il n'y a pas de cohérence et aucune action motivante d'envergure n'est réalisable.

Pour parvenir à modifier les conceptions, les attitudes et les comportements des élèves, il est nécessaire que l'enseignant donne l'exemple. On se rend alors compte que la propension des enfants et des jeunes à imiter rend la tâche des enseignants très complexe et délicate. C'est à eux de persuader leurs élèves de l'importance et des enjeux du respect des droits fondamentaux, de même que les dangers inhérents à la discrimination à l'égard des femmes. Pour réussir cette tâche difficile, nous pensons qu'il est important que l'enseignant bannisse toute approche abstraite et dogmatique des problèmes. Pour cela, il lui faut absolument éviter toute hypocrisie dans son enseignement. Il y a hypocrisie lorsque ce que le maître enseigne est manifestement contradictoire avec la manière dont il enseigne.

L'école étant un lieu de confrontation de valeurs, il importe que les enseignants soient particulièrement avisés et préparés, pour ne pas contribuer inconsciemment à perpétuer les valeurs qui compromettent l'éducation à la citoyenneté. La réalisation d'une telle exigence demande que les enseignants soient sensibilisés et formés par rapport aux différents instruments internationaux, leurs enjeux et les défis qu'ils lancent à tout un chacun. Une telle activité nous semble fondamentale dans la mesure où, pour le cas particulier de la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égards des femmes, le combat des préjugés, des stéréotypes et autres attitudes et comportements rétrogrades, exige une forte motivation personnelle.

Dans la pratique, toutes ces exigences obligent l'enseignant à promouvoir l'égalité des chances dans le parcours scolaire et l'égalité de traitement dans les relations d'apprentissage. Sur ce point, la révision des contenus d'enseignement peut s'avérer nécessaire pour garantir l'égalité d'accès à l'enseignement en y extirpant les aspects discriminatoires. Toujours dans la même logique, il convient de se doter de méthodologies d'apprentissage susceptible de préserver et de protéger la coopération et la tolérance. Ici, le principe même de l'éducation aux droits de l'homme écarte d'emblée toute approche abstraite et dogmatique de l'enseignement. Seules les pédagogies actives sont à encourager dans la mesure où elles placent le respect de la personne humaine au centre des interventions didactiques et pédagogiques.

V. Conclusion: un pas de plus vers l'égalité en droit

La marche vers la démocratie est longue et pénible et chaque citoyen a besoin, pour chaque pas, d'un appui sûr. L'école, en tant que structure formelle d'éducation et de formation, doit être un des appuis sûrs recherchés par le citoyen, les jeunes et les enfants particulier.

Dans cette perspective, l'introduction des différents instruments internationaux à l'école constitue une démarche fondamentale à partir de laquelle les différents acteurs pourront trouver les moyens nécessaires pour préparer les jeunes à vivre dans le respect et la tolérance. Sur ce point, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes dégage un ensemble de dispositions qui peuvent servir de voies d'action pour l'école.
 

Note

1). ONU. Fiche d'information N° 22: Discrimination à l'égard des femmes: la Convention et comité, pp. 7-8. Retour au texte

 

Références

Bourdieu, P et Passeron, J.-C. (1970).La reproduction. Paris: Éditions de Minuit.

Mialaret, G. (1991). Pédagogie générale. Paris: PUF.

Minata Tapsoba est Inspectrice de philosophie et membre de l'ÉIP-Burkina Faso.

   

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