Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix


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Règlements scolaires et démocratie

Par Marc Gourlé

L'auteur nous propose une réflexion sur la question des relations d'autorité jeunes-adultes à l'école. Après en avoir cerné les principaux enjeux, il nous propose une activité pédagogique autour de la réglementation scolaire. On reconnaîtra dans ce texte l'importance qu'accorde l'auteur aux valeurs d'une pédagogie centrée sur la coopération et le respect mutuel des acteurs.

On ne peut apprendre la démocratie que dans un cadre démocratique. Il ne suffit pas d'enseigner la démocratie et la tolérance; l'école doit prêcher par l'exemple " Conseil de l’Europe

L'élève, sujet de droit

L'élève est un acteur de son éducation. Et s'il est un véritable partenaire à part entière, c'est qu'il a des droits et des responsabilités. Cela dit, encore faut-il pouvoir en tirer les conséquences pour la vie quotidienne dans les établissement scolaires.

Etre sujet de droit, c'est pouvoir prendre la parole: c'est exprimer ses idées, ses opinions, manifester son consentement ou son désaccord et participer pleinement à la définition des règles du jeu.

On ne peut, écrit-on, apprendre la démocratie que dans un cadre démocratique où la participation est non seulement permise mais encouragée, où les opinions peuvent être ouvertement exprimées et discutées, où l'on garantit la liberté d'expression aux élèves et aux enseignants, où règnent impartialité et justice, où chacun se sent stimulé et interpellé (*)

Le droit à l'expression
par la participation

Il est utopique de prétendre que de jeunes adolescents puissent devenir des citoyens responsables et capables de participer à la vie de la communauté sans qu'ils aient été initiés, au préalable, aux compétences et aux responsabilités qui les accompagnent.

Pour former des êtres libres, il faut leur donner la parole. L'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant stipule, à cet effet, que l'enfant a droit, dans toute question ou procédure le concernant, d'exprimer librement son opinion et de voir cette opinion prise en considération. Demandons-nous de ce fait si, d'une manière générale, les principes de l'éducation aux droits de l'homme contenus dans cette convention se traduisent dans les aspects suivants de la vie scolaire:

 

n les objectifs et l'organisation scolaire;

n les méthodes d'enseignement et les approches pédagogiques;

n les relations élèves-enseignants;

n la contribution des uns et des autres au bien-être de la communauté scolaire.

A cet égard, A. Hart, professeur de psychologie environnementale à la City University de New York, propose une série de conditions minimales auxquelles un projet pédagogique doit satisfaire pour que la participation soit autre chose qu'un exercice factice et manipulatoire. Elles sont au nombre de quatre:

n les enfants comprennent les intentions du projet;

n ils savent qui a pris les décisions concernant leur participation et pourquoi;

n leur rôle a un sens et n'est pas purement figuratif;

n ils souhaitent y participer ou sont d'accord pour y apporter leur collaboration une fois qu'ils ont été informés.

 

L'autorité et sa légitimité démocratique

La participation des élèves à la vie de l'école renvoie à une réflexion sur l'autorité. Qu'on le veuille ou non, cette autorité existe. Le personnel enseignant et la direction de l'école la tiennent des parents et de la législation scolaire. Celle-ci leur attribue la responsabilité d'aider les jeunes à se former et leur confère le pouvoir de veiller à l'atteinte de cet objectif. C'est le cas, du moins, dans les pays où la légitimité démocratique d'une telle législation est reconnue conforme au droit international des droits de l'homme.

Le caractère démocratique de la législation scolaire ne rend cependant pas accessoire une réflexion sur les rapports égalitaires entre jeunes et adultes à l'école. Comment développer ceux-ci tout en sachant, au départ, que ces derniers sont investis de facto d'une autorité, aussi légitime paraît-elle être?

Les personnes en situation d'autorité à l'école peuvent se servir du pouvoir que leur reconnaît la loi pour animer, faciliter les rapports interpersonnels et inter-groupaux, aider la personne et le groupe à réaliser leurs objectifs respectifs et à devenir plus créateurs et épanouis. C'est pourquoi il est souhaitable que les détenteurs de l'autorité mettent l'accent sur les moyens à mettre en oeuvre en vue d'aider les jeunes à participer à leur propre développement. Tout en assumant la responsabilité de veiller à ce que l'école atteigne les objectifs prescrits par la loi, les dépositaires de l'autorité doivent, par ailleurs, s'assurer que les droits des élèves soient respectés.

Ainsi envisagé, l'exercice de l'autorité ne se présente plus comme un obstacle à la vie scolaire démocratique, mais comme un facteur d'égalité et un levier d'épanouissement.

Le règlement scolaire,
un enjeu pour l'exercice des droits

Quel qu'il soit, un règlement véhicule des valeurs. Le fait de choisir consciemment et volontairement d'édicter un règlement scolaire sur la base des principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Convention relative aux droits de l'enfant, c'est consentir à promouvoir un ensemble de valeurs que sont la paix, l'égalité, la fraternité, la justice, la tolérance et la solidarité, notamment. C'est aussi donner un sens à la participation de chacun et offrir la possibilité de construire et de vivre un projet éducatif rassembleur et motivant. C'est l'esprit d'une dynamique qui se fonde sur l'affirmation des droits et libertés de la personne et la reconnaissance de leur libre et responsable exercice. Dans cet esprit, nous pensons qu'un règlement d'école doit réunir les conditions suivantes:

n la consultation préalable des personnes concernées;

n la participation des intéressés à l'élaboration de son contenu;

n une présentation en une formulation simple et claire;

n sa connaissance par tous ceux et toutes celles à qui il est destiné;

n l'observance pour tous et toutes, sans exclusives;

n la prédominance, en tous cas de non-observance, d'une intervention éducative et non-punitive.

Application pédagogique

" Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de l'enfant en tant qu'être humain et conformément à la présente Convention" (Article 28.2. Convention relative aux droits de l'enfant).

 

Une étude de cas

Pouvons-nous concevoir un établissement scolaire dont les principes directeurs seraient contenus dans une "Charte" qui respecterait les droits de chacun et garantirait l'exercice des libertés fondamentales telles qu'affirmés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans la Convention relative aux droits de l'enfant?

L'activité suivante constitue un élément de réponse à cette question; elle vise principalement deux objectifs:

n cerner les attitudes et les comportements qui rendent difficile ou impossible l'exercice des droits et des libertés fondamentales à l'école;

n proposer aux participants d'élaborer en équipe quelques articles d'un règlement scolaire traduisant les principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Il importe de souligner que cette activité propose une démarche réflexive et ne prétend pas apporter de solution-miracle, compte tenu de situations qui prévalent dans plusieurs milieux scolaires. On doit conserver à l'esprit que " l'école est souvent un lieu de non-droit ", pour employer l'expression de B. Defrance. Il arrive qu'enseignants, direction et élèves transgressent à plus d'un titre la loi ou portent atteinte à l'intégrité physique ou morale d'autrui. Il arrive aussi que le droit soit inconnu ou méconnu par l'enseignant lui-même ou que celui-ci soit parfois confronté à des situations dramatiques devant lesquelles il peut se sentir désarmé: violence, exclusion, expulsion, etc. Dans certains endroits, des pistes intéressantes sont par ailleurs explorées; des équipes de professionnels non-enseignants sont dans des écoles à la disposition des enseignants et des élèves; ailleurs, des sessions de sensibilisation et de formation sont offertes au personnel de l'enseignement.

L'activité proposée peut se dérouler lors de sessions de formation, de journées pédagogiques ou en classe, avec les élèves. Dans ce dernier cas notamment, cette activité intéressera l'éducateur qui favorise ou qui a l'intention de favoriser des apprentissages sur le mode coopératif.

 

mots-clés

Démocratie, droits et obligations, éducation, justice, libertés fondamentales, participation.

matériels

La Déclaration universelle des droits de l'homme ainsi que sa version simplifiée publiée par l'Association mondiale pour l'Ecole instrument de paix; la Convention relative aux droits de l'enfant ainsi que le dossier pédagogique réalisé par l'EIP-Belgique et intitulé: Découvrons la Convention des droits de l'enfant; des études de cas, crayons de couleurs différentes et des feuilles de papier grand format.

Exemples de cas réels relevés dans
des écoles d'Amérique, d'Afrique et d'Europe

nDes élèves d'une école primaire ont été insultés, battus puis exclus pour vingt-quatre heures au motif qu'ils n'avaient pas balayé leur classe avant l'arrivée de leur maîtresse.

nDes filles sont insultées, méprisées ou harcelées par des garçons.

nUn élève obèse est la risée de ses camarades de classe.

nDes jeunes sont rackettés par des plus âgés.

nUn enseignant est constamment chahuté par ses élèves qui l'empêchent d'enseigner.

nUn enseignant traite ses élèves "d'imbéciles" et se moque ostensiblement de ceux qui éprouvent des difficultés.

nUn directeur d'établissement soutient inconditionnellement la version des adultes lors de différends avec les élèves.

nUn élève de 8 ans s'est vu la bouche bâillonnée d'un morceau de ruban de papier-cache parce qu'il n'avait pas été autorisé à parler.

nUne forte proportion d'élèves ne se sont pas présentés à l'école le jour de leur grande fête religieuse: ils ont été notés "0 " parce que le professeur avait décidé de faire passer un examen ce jour-là.

nDes élèves publient un journal étudiant dans lequel on tient des propos vexants pour les membres de la direction.

n Le directeur a peur de sanctionner des élèves qui ont agressé une enseignante dans l'exercice de sa fonction.

n Un élève de 9 ans reçoit la punition d'écrire vingt fois " Je ne peux pas rire à l'école ".

n Dans une école secondaire, un professeur d'histoire soutient que l'holocauste n'a jamais eu lieu.

n Un chef d'établissement oblige un élève coupable de vol à confesser publiquement son crime devant tous les élèves de l'école réunis dans la cour de récréation pour la circonstance.

n Un directeur d'établissement n'apprécie guère que des garçons nouent leurs cheveux avec un élastique. Un jour, il a joué au coiffeur et a coupé la queue de cheval d'un élève qui faisait trop le malin ".

n Des jeunes filles musulmanes refusent d'ôter leur foulard en classe. Elles sont expulsées de l'école.

n Un jour de décembre, une élève est sanctionnée au motif qu'elle a utilisé les toilettes réservées à l'usage des enseignants. Les toilettes des élèves sont situées à l'extérieur et ne sont pas chauffées.

n Un élève dénonce d'autres élèves qui vendent de l'herbe à l'intérieur des murs de l'école. A la récréation, nombreux sont les camarades qui l'insultent et le traitent de balance ".

n Sur le terrain de stationnement du collège, un professeur trouve sa voiture couverte de graffitis et les pneus crevés.

L'utilisation des études de cas en pédagogie

Des études dans le domaine de la psychologie cognitive ont montré que l'analyse de cas concrets permet de mieux contextualiser les apprentissages. La prise en compte des interactions sociales entre pairs peut servir de catalyseur de changement.

Résumant les résultats d'une recherche publiée récemment sur l'utilisation des études de cas dans la formation des maîtres, N. Rome souligne que la discussion autour de cas permet de clarifier la réflexion autant orale qu'écrite. Il semble donc, d'ajouter l'analyste, " que la combinaison d'une réflexion écrite, individuelle et orale, interactive, sur des cas pédagogiques concrets permette d'approfondir la métacognition ".

 

Déroulement de l'activité

L'atelier se déroule comme suit:

1- Les participants sont invités à prendre connaissance de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme — DUDH — et de la Convention des droits de l'enfant; s'il s'agit d'une activité en classe avec les élèves, ceux-ci devront consacrer d'abord quelque temps à l'étude de ces deux instruments internationaux avant de passer aux exemples de cas.

2- Les participants forment quatre groupes dans le but d'exprimer leurs points de vue sur ces deux textes et notent sur papier leurs commentaires. Chaque groupe se désigne un/une secrétaire.

3- Chaque groupe procède ensuite à des études de cas transcrites sur des affiches collées au mur. Chacun des cas correspond à une situation vécue dans des écoles de pays et de continents différents.

4- Eu égard aux cas présentés, les participants sont appelés à réagir en jouant le rôle de parent, d'élève, d'enseignant ou de chef d'établissement; ainsi, les participants se constituent en quatre groupes: celui des parents, des élèves, des enseignants, des autorités scolaires.

5- Chacun des groupes identifie les droits et libertés vus comme prioritaires dans le cadre scolaire; ces droits et libertés sont associés à des articles de la dudh et de la Convention relative aux droits de l'enfant.

6- A partir de cette sélection, les groupes rédigent quatre articles d'un projet de règlement intérieur.

7- Les différents groupes se concertent afin de décider en commun du contenu final du règlement. Celui-ci est ensuite affiché au mur pour faciliter la synthèse de l'activité.

Cette activité se veut un déclencheur pour une discussion sur les rapports jeunes-adultes à l'école. Elle pose l'hypothèse qu'il est possible et souhaitable que le traditionnel "règlement intérieur" se mue en une "charte des droits et obligations" inspirée du contenu de la Convention des droits de l'enfant. De manière à ce que s'opère un changement au terme duquel l'adhésion libre et consentie à des normes se substitue à l'imposition unilatérale, sans possibilité de remises en question.

 

Références

Découvrons la Convention des droits de l'enfant. Bruxelles, Éd. Labor,1995.

Défense des Enfants International (DEI). Les droits de l'enfant en question(s). Liège, Ed. Jeunesse et droit,1982.

Defrance, B. La construction de la loi à l'école. Conférence introductive prononcée à l'Université de Liège, 11 mars 1995; voir également: L'école, un lieu de non-droit? In: Le Soir, 13 mars 1995.

Hart, Roger A. Que signifie la participation des enfants? In: Bulletin de l'éducation pour le développement, Genève, unicef, Volume 3, n° 1, mai 1992.

Leduc, C. et de Massy, P. Pour mieux vivre ensemble. Guide de réflexion sur la Charte des droits et libertés de la personne du Québec à l'intention des jeunes en milieu scolaire. Montréal, Modulo éditeur, 1988.

Rome, Nelly. L'utilisation de l'étude de cas dans la formation des maîtres. Perspectives documentaires en éducation. N° 35, 1995, pp. 137-140.

 

 

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