Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
Retour � la page pr�c�dente�
L'�ducation civique � l'�cole primaire et au coll�ge en France :
Un ancien projet, des tensions permanentes. Une actualit� renouvell�e
par Fran�ois Audigier
�
I. Rep�res
Depuis plus de deux si�cles et au-del� des d�cisions politiques qui l�ont peu � peu g�n�ralis�e, l��cole (1) est pens�e en France comme directement li�e � la citoyennet�. Condorcet est la figure embl�matique de cette conception qui veut que le fonctionnement et l�am�lioration de la R�publique requi�rent des citoyens �clair�s par la raison, citoyens dont la formation implique l�existence de l�Institution �cole. Les savoirs, les savoir-faire, la culture transmise par et � l��cole ont donc pour premi�re finalit� la formation de citoyens capables de d�battre des objets qui les concernent et de choisir leurs repr�sentants dans un espace public o� ils sont �gaux. R�ciproquement, la construction d�un espace public d�mocratique implique des citoyens �clair�s. C�est donc une finalit� politique, au sens le plus fort du terme, qui institue l��cole. Autrement dit, l��cole est civique par essence. D�s lors qu�avec l�essor de la d�mocratie, les droits politiques s��tendent progressivement � tous (2) �cole doit devenir obligatoire pour tous. Ce rappel est essentiel d�une part pour mettre en situation l��volution progressive de l�instruction-�ducation civique dans l��cole fran�aise depuis plus d�un si�cle, d�autre part pour comprendre aussi bien les appels de plus en plus pressants et fr�quents qui lui sont adress�s que les tensions et difficult�s qui sont n�cessairement son lot tant sur le plan th�orique que sur le plan pratique.
Dans cet article, nous d�crirons d'abord tr�s rapidement un parcours de plus d�un si�cle d�instruction-�ducation civique � l��cole, parcours qui remet en situation les choix qui ont �t� faits et les mani�res dont certains principes �taient traduits en d�cisions qui organisaient l��cole et les enseignements. Ce parcours s�ach�ve par la mise en �vidence de quelques-unes des tensions qui caract�risent obligatoirement ce domaine de l��ducation. Puis, nous accor-derons une attention particuli�re aux h�sitations des trente derni�res ann�es, h�sitations qui sont l��cho, dans les institutions scolaires, des �volutions sociales et politiques de notre soci�t�, avant de conclure sur la pr�sentation de quelques r�sultats de recherches r�centes montrant la r�sonance de ces h�sitations et �volutions chez les enseignants et chez les �l�ves.
La demande adress�e � l��ducation civique, de contribuer plus que jamais � la pacification des relations entre les personnes dans les �tablissements et au-del� � l�apprentissage des r�gles de vie collective, semble s�appuyer, chez une grande partie des acteurs, sur des valeurs aussi vagues que pens�es indiscutables, d�truisant ainsi la nature politique de son assise. Tout au long de ce texte, nous insistons sur les tensions et difficult�s propres � ce domaine de l��ducation � l��cole, parce que d�une part, il est n�cessairement le domaine le plus porteur de ces tensions et de ces difficult�s, et que d�autre part, c�est en prenant la pleine mesure des unes et des autres que se mettent en place et se d�veloppent les initiatives les plus pertinentes et les plus passionnantes. L��ducation civique ayant pour but premier la construction de comp�tences r�put�es devoir �tre celles du citoyen, elle porte en son centre aussi bien les valeurs et principes qui fondent, ou sont cens�es fonder, nos institutions publiques, que tout ce qui, dans la vie quo-tidienne, divise et fait d�bat dans une soci�t� complexe comme la n�tre.
II. L'instruction civique � la recherche d'elle-m�me
Les projets �labor�s durant la R�volution fran�aise marqu�rent le d�but d�une r�flexion constamment reprise sur l��ducation morale et civique; mais, quelles que soient leur grandeur et leur force, ils n�eurent pas de traduction institutionnelle imm�diate. La loi Guizot de 1833 d�cida que chaque commune devait ouvrir une �cole primaire et donc mettre en place une offre d�instruction, mais il fallut attendre les ann�es 1881-1882 pour que s�instaurent l�obligation et la gratuit� scolaires � l��cole primaire. Les textes de cette �poque insistaient avec force sur le projet de formation civique qui fondait cette �cole. Cette formation rev�tait plusieurs habits: en premier lieu, la vie m�me � l��cole avec son apprentissage de la discipline et des bonnes r�gles de vie, apprentissage conduit par le comportement exemplaire du ma�tre, puis toutes les mati�res d�enseignement, en particulier les sciences qui apprenaient � exercer et � d�velopper la raison, qualit� premi�re du citoyen; dans ce bouquet de mati�res scolaires, la premi�re place �tait donn�e � l�instruction morale et civique. Les deux dimensions morales et civiques �taient tr�s �troitement li�es sous le r�gime d�une la�cit� affirmant que seules les valeurs et les savoirs universels avaient droit de cit� � l��cole, laissant dans les espaces priv�s, selon les libres choix des familles, les croyances singuli�res, notamment les croyances religieuses. Tr�s vite, l�instruction civique, fortement ax�e sur les institutions politiques et comportant des �l�ments d�initiation � la vie �conomique et sociale, fut r�serv�e aux plus �g�s, tandis que l�instruction morale, pr�sente d�s le plus jeune �ge, laissa des souvenirs souvent �mus � des g�n�rations d��coliers.
Mais, cette �cole primaire n��tait pas une �cole pour tous. Longtemps, trois syst�mes scolaires ont coexist� avec, de fait, leurs propres conceptions des valeurs et de leur trans-mission. L��cole primaire, institu�e � la fin du si�cle der-nier, souvent appel�e �cole communale, �tait l��cole du peuple, ouvrant � la vie active d�s l��ge de 12, puis de 13 ans. Les enfants de la bourgeoisie la�que allait dans les petites classes des lyc�es, petites classes pr�c�dant de fa�on tr�s naturelle les �tudes secondaires et sup�rieures. Jusqu�au milieu des ann�es vingt, et sans doute dans la pratique pendant encore longtemps - car les textes officiels sont une chose et la r�alit� quotidienne une autre -, l�instruction morale et civique ne faisait pas partie des programmes des classes primaires de lyc�e. Le mod�le d�instruction �tait autre; c��tait celui des humanit�s. Autrement dit, c�est par la fr�quentation des grands auteurs du pass� que les valeurs humanistes se transmettent. Il y avait ainsi deux �coles publiques, l�une qui prenait explicitement en charge la formation morale et civique, l�autre qui inscrivait la transmission des valeurs dans une autre culture scolaire. Avec la premi�re, il s�agissait de �r�publicaniser� les classes populaires; la conception de la citoyennet� qui dominait �tait celle d�une citoyennet� d�appartenance, voire d�une citoyennet� d�ob�issance. Les devoirs �taient mis en avant. Avec la seconde, faisons l�hypoth�se que la bourgeoisie la�que, dont les enfants fr�quentaient les lyc�es se faisait d�abord confiance � elle-m�me pour la transmission des valeurs politiques et de la citoyennet�. Enfin, une troisi�me �cole, priv�e essentiellement catholique, concevait autrement l��ducation puisque les valeurs ne pouvaient �tre d�finies que par l��glise et les textes religieux.
Jusqu'en 1945, l�enseignement secondaire ne comprenait pas d'instruction morale ni d�instruction civique. � ce niveau scolaire, le mod�le humaniste suffisait. Apr�s la Seconde Guerre mondiale, compte-tenu de ce que venait de vivre l�Europe et parmi elle, la France, les autorit�s, sous l�impulsion d�un Inspecteur g�n�ral issu de la R�sistance, d�cidaient d�introduire de l�instruction civique au lyc�e � raison d�une heure par semaine. Tr�s vite cette nouvelle mati�re scolaire, confi�e au professeur d�histoire et de g�ographie, fut r�duite � une heure par quinzaine et limit�e au premier cycle, c�est-�-dire � ce qui est aujourd�hui le coll�ge. La finalit� affirm�e est r�solument politique et morale: �viter, par l�instruction, le retour des drames collectifs et des comportements jug�s peu civiques d�une partie de la population fran�aise. Les programmes �taient organis�s selon un mod�le concentrique assez largement inspir� par les mouvements d��ducation nouvelle: partir du local jug� plus concret, plus abordable par les �l�ves et plus propice � la mise en �uvre de m�thodes actives telles que les enqu�tes, plus � m�me de permettre une premi�re compr�hension des institutions politiques d�mocratiques avant de s��largir progressivement � la France et au monde. Des doses d�initiation au monde �conomique et social �taient �galement inject�es. Cette instruction, instruction au sens d�un ensemble de connaissances et de savoirs de type notionnel et factuel, devait �tre compl�t�e par une transformation de la vie scolaire avec l�instauration d�une participation des �l�ves, sous forme, notamment, de d�l�gu�s de classe. Ainsi, l�aspect ��ducation� li�e � la pratique �tait, th�oriquement, �troitement associ�e � l�aspect �instruction�; il �tait clairement dit que l�une n�allait pas sans l�autre.
Nous ne disposons malheureusement pas d�enqu�tes ou d��tudes syst�matiques concernant cette instruction civique �en actes�, dans la r�alit� et le quotidien des classes et des �tablissements. Cependant, de nombreux t�moignages et �tudes partielles convergent pour souligner que, tr�s rapidement, des professeurs non pr�par�s, c�est-�-dire sans formation sp�cifique (3), utilis�rent une grande partie des horaires pour enseigner leurs disciplines habituelles, l�histoire et la g�ographie, et que les vell�it�s de participation sombr�rent sous le peu d�empressement des adultes � confier la moindre responsabili-t� aux �l�ves, sinon � les �couter. Cette instruction civique semble s��tre lentement dissoute au cours des ann�es soixante pour dispara�tre officiellement dans les r�formes des ann�es soixante-dix, avant de rena�tre sous l�appellation d��ducation civique quelques temps plus tard.
Ainsi, au-del� de sa position fondatrice de l��cole de la R�publique, l�instruction morale et civique fut, � l��cole primaire pendant presque un si�cle ou dans le premier cycle du secondaire pendant plus de vingt ans, une mati�re scolaire officielle avec un horaire et un programme, plus largement une pr�occupation qui devait inspirer la vie scolaire. De cette longue exp�rience, qu�une �tude approfondie montrerait plus complexe et plus conflictuelle que ses thurif�raires nostalgiques le disent, nous d�gageons, pour conclure cette p�riode, quelques remarques qui rendent compte de nombre de difficult�s et de tensions toujours actuelles; l��ducation civique (4):
-plus encore que les autres domaines scolaires, porte � son maximum la tension entre les deux missions de l��cole que sont la transmission d�une culture, l�insertion dans une culture, et la construction d�un sujet autonome. Entre la normalisation des corps et des esprits et la formation critique, l��quilibre est difficile, m�me si l�on admet que l�autonomie et la formation critique requi�rent l�inscription dans une culture et la reconnaissance d�un h�ritage;
- n�a jamais r�ussi � constituer un mod�le disciplinaire stable, c�est-�-dire une construction scolaire qui m�le des savoirs accept�s par tous, des pratiques et des m�thodes d�enseignements caract�ristiques, des modalit�s d��valuation claires sans omettre tout ce par quoi elle justifie sa pr�sence dans un ensemble de disciplines et de savoirs en concurrence les uns avec les autres. L��ducation civique �tudie notre soci�t� et donc aussi ce qui nous divise d�s lors qu�elle veut entrer dans la vie et �chapper au formalisme; malgr� les appels incessants aux m�thodes actives, celles-ci sont souvent difficiles � mettre en �uvre, quant aux modalit�s d��valuation, un large accord se fait pour mettre en avant des objectifs d�attitudes ou de comportements, objectifs bien difficiles � �valuer;
- oscille entre la priorit� accord�e � la vie scolaire et la construction de connaissances. Certes sur le plan th�orique, la compl�mentarit� s�impose, mais sa mise en �uvre est complexe. La vie scolaire est l�affaire de tous, mais, m�me si beaucoup de comp�tences port�es par diff�rentes disciplines scolaires ont quelque chose � voir avec la citoyennet�, les logiques qui pr�sident � l�enseignement s�accommodent mal des impr�vus de la vie scolaire et plus largement de l�actualit�;
- a donn� lieu � des exp�riences (5) diverses et passionnantes, mais ces exp�riences d�passent difficilement le cadre de la classe ou de l��tablissement; plus difficilement encore elles essaiment dans l�ensemble du syst�me �ducatif. Elles exigent initiatives et inventions, travail en �quipe des adultes et �coute des �l�ves, mise en place de dispositifs de parole et d�action, continuit� dans le temps;
- h�site de plus en plus sur la place qu�il convient d�accorder � la dimension politique. Si celle-ci a constitu� le fondement principal de l�identit� collective, un lieu o� s�exprime, notamment par le vote, le principe de l��galit� des citoyens, tout le monde conna�t les mises en question dont le politique est l�objet, mises en question que traduit la d�saffection des citoyens mais qui expriment aussi, voire surtout, la mont�e de pouvoirs, notamment �conomiques, qui imposent leur puissance aux pouvoirs d�mocratiques. C�est aussi dans ce contexte qu�il convient de replacer et d�analyser les insistances mises sur la citoyennet� locale, sur la citoyennet� sociale, l�engagement volontaire.
Cette liste n�est pas exhaustive. Aucune de ces difficult�s n�est d�finitivement soluble, aucune de ces tensions ne se rel�che ais�ment. Insistons, il est n�cessaire de les prendre en compte; elles sont f�condes et invitent � inventer, � avancer; elles trouvent des solutions ou des apaisements dans le travail quotidien, mais des solutions et des apaisements constamment � reprendre et r�initier, comme la vie elle-m�me. Mais si elles sont co-constitutives de l��ducation civique, elles s�expriment dans des contextes diff�rents selon les moments et les lieux. Elles ont donc rev�tu des contenus nouveaux au cours de ces trente derni�res ann�es, ann�es marqu�es par d�importants changements dans de nombreux domaines de nos soci�t�s.
III. Trente ann�es d'instabilit�
Au cours des ann�es soixante-dix, l�instruction civique a disparu comme mati�re scolaire autonome, la pr�occupa-tion qu�elle portait n�en fut pas pour autant �vacu�e de l��cole. La r�organisation de l��cole �l�mentaire autour du tiers-temps p�dagogique et la mise en place du coll�ge unique s�accompagn�rent d�une r�affirmation de l�impor-tance qu�il convenait d�accorder � la vie scolaire et � tout ce qui pouvait faciliter l�apprentissage des r�gles de vie. Comme auparavant, l��cole �l�mentaire offrait plus d�occasions pour effectuer un travail en ce sens. Quant aux connaissances propres � l��ducation civique, elles �taient suppos�es s�int�grer dans les activit�s d��veil-sciences sociales � l��cole et, au coll�ge, dans un regroupement avec l�histoire et la g�ographie sous l��tiquette de sciences humaines, regroupement qui incluait explicitement de l��conomie. L�heure �tait � l�interdisciplinarit�, aux relations � �tablir entre les domaines de savoirs, � la lutte contre la fragmentation des disciplines. Apr�s tout, ni les �l�ves, ni le monde ne sont disciplinaires.
Ces nouvelles dispositions soulev�rent quelques oppositions, mais celles-ci prirent l�histoire pour cible et ignor�rent compl�tement l��ducation civique. Une campagne m�diatico-politique, en grande partie initi�e par la corporation des professeurs d�histoire et de g�ographie, d�non�a la dilution de l�histoire dans les activit�s d��veil et certaines des r�formes introduites au coll�ge, tout ceci suppos� porter atteinte � l�identit� collective, et produire une perte de m�moire pr�judiciable au lien social. Cette �crise� exprime tr�s clairement la place premi�re, et ancienne, accord�e � l�histoire dans la construction de l�identit� nationale fran�aise, plus largement dans la culture et le d�bat politiques. Ceci traduit aussi, par absence, le peu de cas qui �tait fait de l��ducation civique et de sa dimension politique; plus exactement, l�histoire servait de lieu d�accueil privil�gi�, et pour beaucoup largement suffisant, pour une initiation aux connaissances du domaine politique; la contribution de cette discipline � la formation du citoyen �tait renforc�e par un enseignement qui arrivait jusqu�� nos jours � la fin du coll�ge. L�affaire �tait pour certains entendue, la vie des �tablissements et, � l��cole, des classes, devait s�organiser pour faciliter l�apprentissage des r�gles collectives; les exp�riences li�es aux mouvements p�dagogiques �taient mises en avant. Les contenus �taient d�connect�s de cette exp�rience v�cue � l��cole. De plus, trop de g�n�rations d��l�ves avaient souffert du formalisme dans lequel plongeait l��tude des institutions politiques pour en regretter l��vanouissement.
Cependant, la place qu�il convenait d�accorder aux valeurs, � leur d�finition et � leur transmission, ainsi qu�� la culture politique � transmettre aux jeunes, demeurait un lieu d�interrogations et de d�bats. Puisque l��ducation civique s��tait �teinte comme discipline autonome, certains mirent en avant la dimension n�cessairement axiologique et �thique de toute enseignement, de l��cole dans son ensemble. �duquer, transmettre des valeurs, revenait d�s lors � l�ensemble des adultes, � l�ensemble de ce que l�on appelait de plus en plus la communaut� scolaire. Les difficult�s sociales croissantes li�es � la crise et la mise en place d�un coll�ge unique, o� tous les �l�ves recevaient un m�me enseignement, commen�aient � produire des effets sur le climat � l�int�rieur m�me de certains �tablissements scolaires. La n�cessit� d'une intervention dans et sur la vie scolaire devenait un imp�ratif de plus en plus proclam�. Sur le plan des contenus, l�insistance fut mise sur les droits de l�homme et leur universalit�, faisant glisser au second plan la dimension politique et, plus traditionnellement r�publicaine. Le nouveau ministre de l��ducation nationale, M. Alain Savary, confiait en 1982 � Francine Best, directrice de l�Institut National de Recherche P�dagogique, une mission sur l��ducation aux droits de l�homme. Madame Best �tait tr�s engag�e dans les mouvements p�dagogiques et la r�novation du syst�me scolaire. Une large concertation aboutissait � un texte d�orientation qui d�finissait trois dimensions de cette �ducation: un ancrage r�solu sur la vie scolaire avec la mise en place d�institutions de participation et de dialogue devant favoriser une �ducation par l�exp�rience mais aussi am�liorer le climat des classes et des �tablissements; un fort accent mis sur l�interculturel marquant ainsi la prise en compte de la diversit� croissante des publics scolaires et l�irruption de cette diversit� dans l��cole; une affirmation de la n�cessit� de contenus solides li�s en partie � l�exp�rience v�cue � l��cole et ouverts sur le monde. En l�absence de discipline scolaire sp�cifique, toutes les disciplines et, au-del�, tous les adultes, �taient partie prenante de cette �ducation.
�
Par rapport aux p�riodes ant�rieures et � l�approche traditionnelle li�e � l�instruction civique, ce texte traduisait de profonds infl�chissements, d�une part vers la reconnaissance de la multiculturalit�, d�autre part vers l�affirmation de valeurs universelles laissant en chemin les institutions politiques - qu�elles soient locales ou nationales - au profit d�autres formes de pr�sence dans la vie de la cit�. Ce texte n�eut pas d�existence officielle, une grave crise politique concernant l��cole priv�e et sa possible insertion dans un grand service public d��ducation contraignit le ministre � la d�mission. Apr�s les tentatives de r�novation et leurs difficult�s voire leurs �checs, le retour � la tradition, aux principes et aux valeurs suppos�s avoir fait la force d�un pass� devenu �ge d�or, �tait � l�ordre du jour. Dans ce contexte de restauration, l��ducation civique fit son retour comme discipline sp�cifique � l��cole et au coll�ge, une �ducation civique un peu r�nov�e sur le plan des contenus, une �ducation civique accompagn�e d�un discours sur la n�cessai-re contribution de la vie scolaire. Dans le balancement r�gulier entre les connaissances et la vie scolaire, les premi�res retrouvaient leur r�le principal, c�est en instruisant le jeune que l�on en fera un citoyen �clair�. Ce r�tablissement s�arr�tait tout de m�me � la porte du lyc�e; le baccalaur�at est une chose trop s�rieuse pour d�ranger l�esprit des �l�ves avec une quelconque �ducation politique ou sociale!
Nous l�avons dit, les textes officiels sont une chose et la vie quotidienne une autre. Certes, en particulier dans les coll�ges, la plupart des enseignants introduisirent un ensei-gnement d��ducation civique; cependant la plupart des observateurs remarqu�rent que les horaires officiels �taient loin d��tre respect�s. Quant � l��cole primaire, les instituteurs n�avaient pas abandonn� leur travail sur la vie de la classe, la r�affirmation d�une �ducation n�cessaire apportant aux plus convaincus une l�gitimation suppl�mentaire.
Ce retour s�effectua dans un contexte g�n�ral tr�s changeant; il l�est toujours. Ainsi, l��cole est, plus que jamais, l�objet d�interrogations et de mises en cause qui vont � nouveau projeter en avant l��ducation civique. Tout en restant relativement peu nombreux, des �tablissements sont le th��tre d�actes de violences nouveaux, signes d�une d�saffiliation scolaire autant que sociale; les contradictions et tensions de la soci�t� p�n�trent � l��cole qui n�est plus ce havre de paix, cet �lot prot�g� dont r�vent certains nostalgiques des temps anciens. La mise � distance du �priv� qui faisait partie d�une certaine conception de la la�cit�, ne tient plus. Les analyses sont nombreuses et diverses qui �tudient ces ph�nom�nes, qui lient l��cole, crise du travail et la crise de la ville, qui tirent les cons�quences de l�extension massive de la scolarit�, qui �tudient ce que deviennent les valeurs devant la mondialisation des industries de la culture et le d�veloppement du �pr�sentisme�, etc. Tout ceci dessine le contexte dans lequel �voluent les pr�occu-pations li�es � l��ducation civique. Plus encore que des dysfonctionnements graves et donc passibles d�une intervention judiciaire, les �tablissements sont le lieu d�une multiplication de petits incidents, d�incivilit�s, de comportements jug�s inconvenants voire agressifs et qui minent le climat de nombre de coll�ges et de lyc�es. Pendant longtemps, les �coles primaires se sont crues � l�abri de telles situations; l��ge des �l�ves et la pr�sence plus forte des enseignants semblaient assurer un ordre et une ambiance satisfaisants. Ce n�est plus autant le cas aujourd�hui. Ajoutons enfin, les conflits n�s des �affaires de foulard� qui, au-del� d�une analyse sur le fond, sont le signe de la difficult� et de la n�cessit� dans laquelle l��cole se trouve, en France, de traiter diff�remment des probl�mes de multi-culturalit� (Lorcerie, 1996).
Dans ce contexte, les ann�es 1990 ouvrent un temps que nous appellons celui du �droit � l��col��. Plusieurs �l�ments l�gitiment cette appellation. Sur le plan institutionnel d�abord, l�autonomie croissante des �tablissements et la Loi d�orientation de 1989 accordent plus de libert�, et donc plus de droits aux �tablissements et � leurs responsables; les �affaires de foulard� aboutissent, en 1992, � une d�cision du Conseil d��tat qui soumet les r�glements int�rieurs � la Loi commune alors que l��ducation nationale, comme beaucoup de grandes Institutions de la R�publique, avait l�habitude de r�gler � l�interne les probl�mes, la violence dans les �tablissements donne lieu � des collaborations entre l��cole, la Justice et la Police, etc.
De son c�t�, la r�flexion sur les programmes et les contenus d�enseignement se poursuivait dans le cadre nouveau d�un Groupe Technique Disciplinaire li� au Conseil National des Programmes institu� en 1989. Quoi qu�il en soit, des vicissitudes li�es aux changements de ministres et de majorit� politique, nous retenons des travaux de ce Groupe l��laboration de nouveaux programmes d��ducation civique pour les coll�ges, programmes mis en place � partir de la rentr�e de 1996 et qui marquent une profonde inflexion par rapport aux pr�c�dents. Revenons un moment en arri�re. Lors de la Mission Best charg�e de l��ducation aux droits de l�homme, nous avions anim�, dans le cadre de notre travail de recherche et avec un enseignant d�histoire et de g�ographie dot� d�une solide formation juridique, Guy Lagel�e, une �quipe de pr�s d�une centaine d�enseignants du primaire et du secondaire, toutes disciplines confondues. Ce travail avait pour objectif de �tester� la faisabilit� de cette �ducation et d�initier diverses mani�res d�int�grer les droits de l�homme dans les enseignements (INRP, 1987; INRP, 1989). Au cours de ce travail, nous avons rencontr� ce que nous avons appel� �l�obstacle juridique�; autrement dit, les droits de l�homme forment un corpus de valeurs et de bons sentiments qui servent � d�noncer des situations scandaleuses (ah! le succ�s de l�Apartheid!), mais, pour les enseignants, les droits de l�homme n�appellent pas le juridique, ne sont pas une arme aux mains des citoyens dans le quotidien de leur vie sociale et politique. De plus, toute r�f�rence � une d�finition claire de la citoyennet� implique n�cessairement la dimension juridique. Le citoyen est une personne �titulaire de droits et d�obligations� dans une soci�t� d�mocratique. Ainsi, tant l��ducation aux droits de l�homme que l��ducation civique ont, doivent avoir pour colonne vert�brale cette dimension juridique. Cette orientation a fourni le cadre d�un second travail de recherche destin� � �tester� la faisabilit� d�une �ducation civique, c�t� connaissances, travail qui a largement inspir� les programmes d��ducation civique actuellement mis en place au niveau du coll�ge. L��tude des institutions, pour n�cessaire qu�elle soit mais qui �tait fortement critiqu�e pour son c�t� tr�s formel et peu mobilisateur pour des adolescents, est tr�s r�duite au profit d�une approche de quelques grands concepts li�s aux droits de la personne et aux droits du citoyen, approche abord�e � partir d��tudes de cas, de situations d�actualit� ou de situations fictives, li�es ou non � la vie scolaire. Une fois un premier effet du surprise pass�, ces programmes rencontrent une forte adh�sion. Ils impliquent une red�finition tr�s profonde de la discipline �ducation civique, invitant � �laborer peu � peu un nouveau mod�le disciplinaire o� l�apprentissage du d�bat, la prise en compte de ce qui fait probl�me dans les �tablissements et plus largement dans notre soci�t�, de ce qui est objet de conflits et de divisions, sont des occasions privil�gi�es d�apprentissages.
Parall�lement � la mise en �uvre de ces programmes, l��ducation civique est appel�e � la rescousse pour pacifier les relations � l�int�rieur des �tablissements, pour inviter � une transformation des institutions de participation, pour initier les �l�ves � la loi et au droit. Elle est alors cens�e mobiliser tous les adultes. Cependant, malgr� les insistances, ce qui concerne la vie scolaire continue trop souvent d��tre trait� ind�pendamment de la discipline scolaire ��ducation civique� alors qu�il est absolument n�cessaire que les deux approches se soutiennent et convergent. La vie scolaire est un temps d�exp�rience sur lequel doivent se greffer une r�flexion et un travail plus syst�matiques, ces deux �l�ments ne prenant de sens pour les �l�ves que s�ils disent quelque chose de leur vie quotidienne. L�enjeu est ici majeur et requiert d�une part, une transformation de la vie des �tablissements et donc des fa�ons de faire et de se comporter des adultes, d�autre part cette invention d�un nouveau mod�le disciplinaire dont nous avons pr�c�demment �voqu� quelques caract�res.
Ainsi, l��ducation civique �en actes�, celle qui est invent�e et qui est � l��uvre dans les classes et dans les �tablisse-ments repose sur deux piliers:
- un ensemble de connaissances, principalement emprun-t�es au monde du droit ou en rencontre avec lui, un monde de concepts et de r�gles, de valeurs et de principes, mais aussi un monde social, un ensemble de pra-tiques avec des �tres humains et des institutions qui sont aussi plong�s dans la soci�t� avec ses divisions, ses d�bats, ses rapports de force;
- la vie scolaire, comme espace d�exp�riences partag�es par les �l�ves, par les �l�ves et les enseignants, plus largement les adultes; une vie scolaire � organiser pour que les �l�ves puissent y prendre des initiatives, y exercer des droits et donc des pouvoirs, et � r�guler dans le respect des droits de la personne, de toutes les personnes, pour que la protection et la s�curit� de chacun soient assur�es, pour que la r�solution des conflits soit men�e dans le respect des droits de l�homme, autant de conditions n�cessaires � l�exercice des libert�s.
IV. Conclusion
Au terme d�une �volution dont nous avons trac� � grands traits quelques aspects, nous donnons tr�s bri�vement la parole, une parole tr�s indirecte et r�interpr�t�e, aux acteurs principaux que sont les �l�ves et les enseignants. Pour ce faire nous empruntons quelques �l�ments � deux recherches r�centes dont les mat�riaux sont en cours d�exploitation. Loin de toute exhaustivit�, ce ne sont que quelques �flashes� dans un univers divers et complexes. Les premiers viennent d�entretiens par petits groupes men�s avec des �l�ves des deux premi�res ann�es de coll�ge sur l��ducation civique, ce qu�ils en pensent, et les liens qu�ils font ou non avec la vie scolaire; les seconds viennent aussi d�entretiens, mais individuels et men�s avec des enseignants du primaire sur les conceptions qu�ils ont de l��ducation civique et les pratiques qu�ils mettent en �uvre. De ces mat�riaux, nous extrayons deux id�es principales, propres � faire rebondir notre questionnement.
D'une part, les jeunes �l�ves de coll�ge disent vivre dans un monde d�obligations, d�interdictions et de non-droits. Le r�glement scolaire est pour eux une accumulation de ces interdits; il ne joue jamais un r�le de r�f�rence en cas de conflit ou de situation difficile; il ne les prot�ge pas, il ne les invite pas � exercer leur libert�. � ce titre, le r�glement est une quasi inversion de ce qui fait le droit, c�est-�-dire un ensemble de pouvoirs et de libert�s �nonc�s afin d��viter que ne r�gne la loi du plus fort et pour que soient respect�s dans les actes quotidiens et la r�solution des conflits un certain nombre de principes et de valeurs fond�s sur les droits de l�homme. De plus ce r�glement n�est applicable que pour les �l�ves et certaines obligations comme celle du respect des horaires ne contraignent pas les adultes. Cet �cart entre le r�glement et la vie quotidienne est encore plus net d�s qu�ils parlent de la vie �hors-classe�, de tous ces moments et ces lieux distincts de l�enseignement et o� la pr�sence d�un professeur n�est pas requise: par exemple, cour de r�cr�ation ou toilettes, sont des lieux o� r�gne pour l�essentiel la loi du plus fort. Ce n�est pas une violence massive, juste ce qu�il faut d�absence de loi pour contrer tr�s efficacement ce que l�on cherche � enseigner ailleurs, un ailleurs absent de leurs propos. Les cours d��ducation civique ne parlent pas de l��cole, n�aident pas � se comporter dans l�enceinte de l��cole. Arr�tons l�. De tels propos recueillis dans des contextes scolaires vari�s convergent �galement autour de l�id�e de respect, mot embl�matique aujourd�hui d�un d�sir de reconnaissance constamment affirm�. Nul doute que les enseignants et plus largement les adultes ne se retrouvent pas dans une telle esquisse, eux qui disent si souvent que les jeunes se croient tous les droits et n�ont plus le sens de leurs devoirs. Voil�, en tout cas, un �cart, une distance qui invite au dialogue.
D'autre part, les enseignants du primaire disent tous faire de l��ducation civique. Celle-ci consiste d�abord � travailler sur les r�gles de vie de la classe. Sur ce fond partag�, les uns restent sceptiques ( � quoi bon rappeler ce que tout le monde conna�t?), d�autres affichent, avec une lecture collective et un l�ger commentaire, le texte suppos� faire loi, d�autres encore en font un objet de travail et de r�flexion. Seuls ces derniers situent leur action dans la dur�e, comme un travail qu�il faut constamment reprendre; ils l�accompagnent alors souvent de dispositifs de parole et de m�diation. Quel que soit le choix fait, la classe reste le lieu central de cette �ducation. �largir pour prendre en charge les autres lieux et les autres moments, en particulier la cour de r�cr�ation, devient trop difficile ou trop d�licat. Il faut se mettre d�accord avec les coll�gues et, l�, rien n�y oblige, rien n�y pr�pare. Bien que recommand� � longueur de discours et de textes officiels, le travail en �quipe est rare. Ce qui fonde ces r�gles ne d�passe gu�re ce qui est �nonc� comme des valeurs largement partag�es: le respect des autres et des biens, la tol�rance. Ni l�un ni l�autre ne souffrent discussion. Elles sont pr�sent�es comme des �vidences universelles. Entre la classe et ces valeurs universelles, il n�y a gu�re d�autres collectivit�s, d�autres groupes susceptibles de constituer une appartenance commune. La classe est un petit univers en r�duction, on doit y respecter les valeurs universelles, �videmment adapt�es � l��ge des �l�ves et � la situation scolaire; une fois la classe quitt�e, chacun est libre de d�finir comme il l�entend ses appartenances. Il y a ainsi absence du politique, absence de la nation, de la patrie, de la R�publique ou de la France. La commune et les institutions locales font encore un peu recette, les symboles de la R�publique avec l�hymne et le drapeau sont parfois objet d��tude. Notre propos n�est ni de regretter ni de vouloir remettre au go�t du jour quelque chose qui aurait malencontreusement disparu. Nous voulons simplement remarquer qu�entre l�appartenance � la classe et l�appartenance � l�humanit�, il n�y a plus gu�re de r�f�rence solidement affirm�e et travaill�e. Le politique s��teint, le politique au sens d�une communaut� de citoyens libres et �gaux.
Multiplication et diversification des structures de dialogue, des institutions de parole et de m�diation, travail sur la loi et les obligations, mais aussi retour du politique, r�investissement de cet univers o� toutes les personnes, tous les citoyens sont titulaires des m�mes droits et des m�mes obligations et d�battent ensemble des questions qui les concernent, deux orientations, parmi d�autres, pour poursuivre la r�flexion sur l��ducation civique et continuer � en inventer constamment des formes nouvelles.
�
Notes
(1) �cole avec une majuscule d�signe l�institution scolaire dans son projet et sa majest�, �cole avec une minuscule l��cole �l�mentaire obligatoire qui comporte, en France, cinq ann�es. Retour au texte
(2) Du moins en principe puisque, en France, les femmes n�obtiennent le droit de vote, symbole des droits politiques, qu�en 1944. Retour au texte
(3) C�est toujours le cas aujourd�hui! C�est une grande hypocrisie de confier un enseignement dont on affirme la n�cessit�, l�urgence, la priorit�, � un corps enseignant sans lui donner la moindre formation, illustration compl�mentaire d�une �cole largement soumise aux lobbies disciplinaires bien �tablis, surtout ceux qui b�n�ficient d�un corps universitaire de r�f�rence. Retour au texte
(4) Dans la suite de cet article nous utilisons le terme d��ducation civique afin de bien en marquer la dimension �ducative, c�est-�-dire que l��ducation civique cherche autant sinon plus � d�velopper des attitudes et des comportements qu�� faire acqu�rir des savoirs ; l�insistance longtemps mise sur ces derniers marquait la croyance dans le fait que plus de connaissances induirait un comportement plus rationnel, et que donc plus de connaissances sur les vertus de la R�publique induiraient un comportement plus conforme � ces vertus... Retour au texte
(5) Le terme d�exp�riences serait sans doute refus� par ceux qui les mettent en �uvre, convaincus qu�ils sont qu�il s�agit l� de pratiques d��ducation qui s�im-posent pour �tre fid�les aux finalit�s de l��cole et aux valeurs qu�ils d�fendent. Retour au texte
AUDIGIER, F., LAGEL�E, G. (1996). "Education civique et initiation juridique". INRP.
AUDIGIER, F., ROBERT, F. (1998). "Quand les enfants parlent d��ducation civique". Nouvelle revue de l�AIS,: (3), 54-61.
CREMIEUX, C. (1998). "La citoyennet� � l��cole". Paris: Syros.
Droit � l��cole (Le). (1998). Cahiers p�dagogiques, n�364.
Education aux droits de l�homme (1987). INRP. Eduquer � la citoyennet� (1996). Cahiers p�dagogiques, n�340. Eduquer aux droits de l�homme (1989). INRP.
Histoire, g�ographie et �ducation civique � l��cole �l�men-taire, contributions � un �tat de lieux (1999). INRP.
LORCERIE, F. (1996). La�cit� 1996. "La R�publique � l��cole de l�immigration". Revue Fran�aise de P�dagogie, (117), 53-85.
Programmes et documents d�accompagnement pour l��ducation civique en coll�ge. Minist�re de l��ducation nationale.
Fran�ois Audigier est professeur � la Facult� de Psychologie et des Sciences de l��ducation de l'Universit� de Gen�ve.
.
� CIFEDHOP 2009