Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
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par Verdiana Grossi
�Les nations comme les individus sont susceptibles d��ducation� -Fr�d�ric Passy (1er laur�at avec Henry Dunant du Prix Nobel de la paix, 1901). |
Comment faire en sorte que la culture de la paix entre dans l��cole et s�institutionnalise afin de devenir une r�alit�?
Le th�me de la XVIIe Session d�enseignement des droits de l�homme, qui s�est d�roul�e � C�ligny du 11 au 17 juillet 1999 �tait : ��ducation � la paix : utopies et r�alit�s�. Il soul�ve une s�rie de r�flexions qui nous am�nent � examiner dans quelle mesure une culture de la paix est � la fois une utopie et une r�alit�.
I. La culture de la paix
Contrairement aux droits de l�homme dont les contours sont plus pr�cis, la culture de la paix et l��ducation qui en d�coule ont des contours beaucoup plus flous. Ils touchent indirectement � ce que les �tats-Nations consid�rent, encore aujourd�hui, comme �tant de leur ressort : la culture.
En 1914 d�j�, le Hongrois, Ferenc Kem�ny (1860-1944), pr�tend que les fondements d�une �ducation � la paix ne peuvent exister qu�� travers �un internationalisme culturel�1. Par son appartenance � l�Empire austro-hongrois, Kem�ny con�oit l��ducation internationale comme un travail culturel. Il estime qu�une m�connaissance des cultures peut conduire � des conflits :�L�organisme, la structure d�une nation ne se composent pas seulement de la langue et de la religion, des rapports politiques et g�ographiques, mais surtout de la culture. Or, (...) chaque culture nationale est, dans son ensemble et dans ses origines, une culture internationale, en tant qu�elle refl�te les cultures �trang�res se trouvant � la base de la culture nationale. Cette v�rit�, cette loi de composition, s�applique aux peuples aussi bien qu�aux cultures.�2
� ses yeux, les courants national et international doivent concourir � cr�er un centre mondial de l��ducation. Grand connaisseur de l�histoire de la p�dagogie, ne s�est-il pas pench� sur tous les projets et r�alisations qui ont converg�, d�une fa�on ou de l�autre, � �l��ducation internationale�? Parmi ceux-ci, Kem�ny cite l�exemple du roi d�Espagne, Charles IV, et de son Ministre Manuel Godoy qui invit�rent les ambassadeurs et les ministres � transmettre les r�glements et trait�s d��ducation de leur pays respectifs3. La France, le Danemark et la Suisse offrent de riches mat�riels p�dagogiques. Ceux qui s�inspiraient de la m�thode Pestalozzi semblent les plus dignes d�int�r�t : la d�cision est prise de cr�er un �tablissement d�essai ou Institut Pestalozzien, une �cole normale et une �cole militaire. L�Espagne a, � ce moment-l�, un gouvernement lib�ral et le �Prince de la paix� se pr�te � exp�rimenter toute id�e nouvelle. Il fait venir de Tarragone et m�me de Suisse, des p�dagogues pour diriger l�enseignement d�apr�s un plan �tabli. Un M�moire relate cette exp�rience et insiste sur divers aspects de l��ducation, notamment celle des femmes! L�intuition, c�est-�-dire la repr�sentation des objets par l��me, est essentielle dans la fa�on dont l�enseignement est abord�. L��ducation doit �tre centr�e sur l�unit� psychique et physique de l��tre. Le but ultime est �le point de ralliement commun � tous les hommes, � tous les devoirs, � toutes les vertus, lequel doit �tre le but de toute bonne �ducation, et on ne le trouvera nulle part, si ce n�est dans la patrie...�4
Cette id�e de patrie demeurera le centre de la pens�e p�dagogique en mati�re de paix. Cependant, les pacifistes et les p�dagogues int�ress�s par le sujet vont se heurter � la contradiction entre �les patries�, �les cultures nationales� et la �culture internationale�. Ces trois entit�s doivent contribuer � donner une forme �spirituelle� et non mat�rielle � l��ducation de l�humanit�, ou, comme K�meny la d�finit, � �l��ducation � la citoyennet� mondiale� (Weltb�rgerliche Erziehung)5. Il s�agit de faire de l��ducation � la paix une �ducation avant tout internationale. Selon Kem�ny il y a un honneur pacifique tout aussi grand que l�honneur civil et militaire. � la veille de la guerre, il exhorte les pacifistes � l�union : �Croyez-moi : sans la conqu�te de l��me vous n�aurez ni paix int�rieure, ni paix internationale.�6
Relevons que l�interpr�tation tr�s �ouverte� que Kem�ny donne de la culture est r�pandue parmi les intellectuels de l�est de l�Europe. Zamenhof, l�inventeur de l�esp�ranto, d�montre, dans le m�me sens de Kem�ny qu�il pourrait y avoir parmi les hommes une ��galit� des esprits�, au-del� des fronti�res, seulement si ceux-ci, sont instruits par une �haute civilisation� :
�Changez les conditions de vie du groupe et alors, demain le groupe A prendra le caract�re du groupe B et ce groupe B le caract�re du groupe A. Non, certainement ; ce ne sont donc pas les diff�rences des esprits dues � la nature qui cr�ent les races et la haine entre les races...�7
II.Culture nationale ou/et culture internationale?
K�m�ny ne s��tait-il pas fait partisan, et ceci depuis 1901, de la cr�ation d�une Acad�mie mondiale qui aurait pour but de r�unir �tous les mouvements culturels� ayant trait aux sciences, lettres, arts de tous les peuples? Il mentionne aussi un centre mondial pour l��ducation et l�instruction8. Cette id�e aboutira � la fondation, en 1909, d�un Bureau international de documentation �ducative � Ostende, dirig� par Edouard Peeters jusqu�en 1914, qui est la premi�re institution d��ducation compar�e9.
Il pose ainsi les fondements de la mondialisation de la vie intellectuelle, id�e qui inspire aussi les juristes belges Paul Otlet et Henri La Fontaine, qui cr�eront, en 1910 � Bruxelles, �l�Office central de l�Union des Association internationales� dans le but �d�assumer la coordination en vue de r�unir en un syst�me g�n�ral tous les syst�mes particuliers d�unification et d�unit�s.�10 Cette Union pr�voit un Congr�s mondial dans lequel sont repr�sent�es toutes les Associations en vue de coordonner les relations inter-scientifiques. � Bruxelles est �tabli un centre international qui englobe un mus�e international (16 salles, 3000 objets et tableaux), une biblioth�que collective (75'000 volumes) et un r�pertoire bibiographique universel (11 millions de notices class�s par mati�res et par auteurs)11.
L�objectif ultime de cette organisation est, selon, Otlet :�d�unir le monde civilis� tout entier dans une action commune en vue de r�aliser certains buts d�int�r�t universel, d�passant les forces d�un seul pays, de donner � l�Humanit� les organes dont elle a besoin pour agir avec la puissance accrue d�une collectivit� plus nombreuse, de placer l�activit� humaine dans les conditions optima pour qu�elle se d�veloppe dans toute son ampleur. L�organisation internationale est li�e au progr�s de l�Humanit� et de la civilisation. � c�t�s des civilisations nationales, superpos�es � elles, doit exister une civilisation mondiale bas�e sur ce qu�il y a de commun dans les civilisations nationales et r�alisant l�esprit de polycivilisations�12.
C�est par une meilleure coop�ration et gestion des forces intellectuelles du monde que l�humanit� deviendrait davantage solidaire dans le maintien de la paix.
III. Fondements de l��ducation � la paix
L��ducation � la paix est en quelque sorte une science encyclop�dique qui traverse les disciplines pour atteindre un m�me objectif : donner � l�homme la possibilit� de recueillir, de comparer, de s�lectionner et de comprendre les ph�nom�nes ayant trait aussi bien aux sciences humaines qu�aux sciences pures. La science et la technologie effacent les espaces pour faire �merger les �l�ments d�interd�pendance qui relient les �tats, et pour les faire converger vers un nouvel ordre de paix. L��cole devra int�grer ces nouvelles donn�es.
Apr�s les Conf�rences de la paix de La Haye en 1899 et 1907, les pacifistes, qui s�estiment les �ducateurs de l�humanit�, n�ont qu�un seul souci : comment faire pour que leur travail soit reconnu et surtout mis en �uvre par les �coles?
Vers quels domaines l��ducation � la paix s�acheminerait-elle? Vers l�utopie et l�id�al, vers les bons sentiments et l�affectif, domaines du ressort du pacifiste? Ou, au contraire, vers une r�alit� fond�e sur les aspects juridiques, l�internationalisme, la politique et l��conomie? Afin de pallier les critiques, les pacifistes n�h�sitent pas � proposer que soient cr��s dans tous les pays des centres pour l�enseignement, �centres dans lesquels - propose en 1913 le d�l�gu� allemand de la commission d��ducation du Bureau international de la paix, M. Wagner - on fera entrer les meilleurs p�dagogues et les gens comp�tents connaissant les meilleurs moyens de propagande. Avant tout, il nous faut gagner les professeurs et la presse p�dagogique.�13
Il appara�t que l��ducation pacifiste est trop importante et qu�elle doit devenir une �v�ritable discipline� enseign�e non seulement dans les �coles secondaires, mais aussi dans les universit�s, en particulier, dans les facult�s de droit.
R�actualisation du concept �culture de la paix�
Ce qui continue de troubler les esprits, c�est le terme de �culture de la paix�, un terme fumeux, que les gens entendent depuis quelques ann�es maintenant. Car la culture de la paix est un th�me en marge des cursus scolaires officiels. Il s�agit donc d�un th�me encombrant dont on reconna�t l�importance mais dont, h�las, il est difficile d�appliquer les contenus. Ainsi un grand effort a �t� entrepris par l�UNESCO en vue d�expliquer et d��clairer ce concept14.
La �culture de la paix� a fait son apparition lors du lancement officiel du programme de l�UNESCO en f�vrier 1994. Ce programme vise avant tout le rejet de la culture de la guerre, et la culture de la paix y est ainsi d�finie : �Une culture de la paix est un processus caract�ris� par le d�veloppement social non-violent li� � la justice, aux droits de l'homme, � la d�mocratie et au d�veloppement ; elle ne peut s'�difier que par la participation des individus � tous les niveaux.�15
Cette d�finition associe la notion de culture de la paix � un processus de d�veloppement d�un �tat social non-violent, fond� sur la justice, les droits de l�homme, la d�mocratie et le d�veloppement. Le terme de �d�veloppement� vient en quelque sorte relayer le terme plus ancien de �progr�s�. Ceci donne lieu � une ambigu�t� puisque le d�veloppement peut �tre synonyme de progr�s mais �galement de divulgation. Comment peut-on diffuser une culture de la paix, encore naissante, dans des environnements o� la violence r�gne sous toutes ses formes et dans lesquels le mot de culture, comme �panouissement de l�homme dans sa dimension spirituelle et �thique, est d�pourvu de sens? Est-ce dire, que la culture de la paix est un �luxe� que ne peuvent se permettre que les pays qui remplissent les conditions d�un d�veloppement social harmonieux o� la justice est respect�e? Et encore, n�existe-t-il pas aussi un ph�nom�ne de violence sous-jacente dans toutes les soci�t�s industrialis�es?
Certes, la justice est l�une des conditions indispensables afin que la culture de la paix et des droits de l�homme puisse s�implanter. Ce qui laisse sous-entendre que la probl�matique de l��ducation � la paix d�passe la paix elle-m�me pour aborder l�analyse des causes endog�nes qui emp�chent les soci�t�s de vivre en paix.
De l�utopie � la r�alit� : l��cole instrument de paix
La D�claration universelle des droits de l�homme du 10 d�cembre 1948 a indirectement contribu� � relancer le d�bat sur une des composantes essentielles de la paix : le respect des droits de l�homme.
Historiquement, l�entre-deux-guerres n�a fait que reprendre les initiatives �bauch�es avant la Premi�re Guerre mondiale. Plus la guerre approchait plus les d�marches en faveur de �l��ducation pacifiste� se multipliaient. Et, paradoxalement, les plus grands efforts en mati�re de paix se sont faits � la veille de 1914, comme pour conjurer l��clatement du conflit. Ces efforts sont repris, et la plupart des id�es �chafaud�es avant la guerre connaissent un nouvel essor16. En effet, une large place est accord�e dans les milieux �ducatifs internationaux � �la paix par l��cole� : mais ils rencontrent des difficult�s vu que l��ducation est du ressort national, et en cons�quence, chaque culture particuli�re doit faire l�objet d�une protection particuli�re17. Apr�s 1945, c�est davantage vers les droits de l�homme que se tourne l�int�r�t des institutions. Donc, les droits de l�homme ont r�actualis� l�enseignement de la paix et ceci surtout gr�ce � la cr�ation de l�UNESCO dont le premier directeur g�n�ral, Julian Huxley, se fait le fervent partisan de l�universalisme scientifique. � ses yeux, le progr�s n�est pas un mythe. La doctrine scientifique du progr�s est un moyen de d�veloppement des aspects spirituels et intellectuels de la vie de l�homme, aussi bien qu�un garant de sa vie mat�rielle18.
Ici repose le fondement de la nouvelle philosophie de l��ducation. L�UNESCO va-t-elle combler les lacunes de la Soci�t� des Nations qui n�avait m�me pas os� favoriser le d�veloppement de la culture �de peur de froisser les �tats nations jaloux de leurs pr�rogatives dans un domaine traditionnellement li� � la formation de la conscience nationale�19?
L�UNESCO ainsi que de nombreuses ONG engag�es en mati�re d��ducation n�ont cess� de s�interroger sur les moyens d�introduire les droits de l�homme et la paix dans l�enseignement20. Dans le cadre de quelles disciplines un tel enseignement devrait-il �tre accueilli? Avec quels mat�riels p�dagogiques? � quel niveau : local, r�gional, national, europ�en ou universel? Et les enseignants? Comment vont-ils �tre form�s?
Lors de la premi�re session internationale d�enseignement des droits de l�homme, � Strasbourg, en juillet 1983, nous n��tions que 17 participants et cet enseignement n��tait qu�� ses d�buts. Sous l�instigation de Jacques M�hlethaler, Pr�sident de l��cole Instrument de paix, je me souviens y avoir pr�sent� un montage audiovisuel qui introduisait, en 45 minutes, les droits de l�homme. Les mots de la fin de ce montage, que j�avais emprunt�s au m�decin et statisticien fran�ais, Louis Villerm�, �taient les suivants : �Une utopie d�aujourd�hui est une r�alit� de demain�.
Depuis, l�utopie de l�enseignement des droits de l�homme a pris forme. Inlassablement, des hommes et des femmes, juristes, enseignants ou activistes n�ont cess� de travailler en faveur de la paix. Jacques M�hlethaler (1918-1994) est un de ces esprits pour lesquels, m�me les id�es les plus folles prennent forme, parce qu�aussit�t ils s�attellent � les mettre en pratique avec cet enthousiasme qui les caract�rise. Cet �diteur, franco-suisse, homme d�affaires, a vou� sa vie et sa fortune � l�enseignement de la paix et des droits de l�homme � l��cole. En 1957, il parcourt diverses ambassades suisses : Ankara, Le Caire, Rome, Paris, Londres, Dublin. Il veut faire de l��cole �l�instrument de la Paix, une forme d�institution appartenant plus � l�humanit� qu�au pays, qui devrait se trouver aid�e dans la t�che par le civisme universel...�21
M�hlethaler voit la paix comme un probl�me d�anticipation qui doit aboutir � une transformation de la forme administrative du monde... elle doit obtenir �l�approbation et le soutien de tous les hommes de bonne volont�, ind�pendamment de leur confession, de leurs doctrines, de la couleur de leurs cheveux ou de leur peau...�22 L��cole, il la con�oit comme �mobile et dynamique�. Gr�ce � elle le monde s�est ouvert � l�alphab�tisation, puis au d�veloppement. C�est vers la solidarit� qu�il faut maintenant l�acheminer. En 1962, il sugg�re au Conseiller f�d�ral suisse Fritz Wahlen, de proposer � l�Assembl�e g�n�rale de l�UNESCO, l�adoption d�une Convention universelle d��ducation civique. Cette proposition au contenu humaniste et universel doit servir de base � chaque manuel d�instruction civique nationale et se r�f�re aux concepts de : responsabilit�, tol�rance, respect des r�gles de devoir et discipline, libert� de pens�e et d�expression, etc.23
Apr�s sept ans d�efforts, M�hlethaler parvient, en 1966, � mettre en place son �ordre mondial de la paix�. Pendant ses d�marches, il a d�couvert que l�UNESCO ne peut accepter que les propositions �manant des gouvernements. La Croix-Rouge quant � elle, le traite d��utopiste� et le Bureau international de l��ducation, dirig� par Jean Piaget, repousse ses propositions de cr�er une Association mondiale �cole instrument de paix24. Finalement c�est au Palais de l�Ath�n�e de Gen�ve, le 19 septembre 1967, que cette organisation voit le jour. Vingt ans plus tard, en 1987, apr�s de nombreux obstacles, il parvient � fonder le Centre international de formation � l�enseignement des droits de l�homme et de la paix (CIFEDHOP)25.
Si nous suivons l�historique des faits, certaines utopies comme celle de M�hlethaler, sont seulement red�couvertes, �modernis�es�, actualis�es en fonction du pr�sent, un pr�sent sans cesse �ajourn�, �modifi� par les inventions techniques et les �v�nements.
Et les droits de l�homme?
Beaucoup de chemin a �t� parcouru depuis. Les mentalit�s se sont habitu�es au terme. Les concepts de �droits�, de �principes fondamentaux inh�rents � la personne humaine� sont maintenant des notions juridiques, peut-�tre plus faciles � �tre accept�es au niveau social et institutionnel, sans pour autant �tre respect�es par bon nombre d��tats. Quant � la culture, elle est beaucoup plus difficile � d�finir puisqu�elle prend davantage en compte le d�veloppement moral et �thique des peuples.
L�enseignement des droits de l�homme a certes fait son chemin. Pourtant, comme l�a soulign� Monique Prindezis, directrice du CIFEDHOP, le bilan, cinquante ans apr�s l�adoption de la D�claration universelle des droits de l�homme, n�est pas des plus r�jouissants : �(...) une �ducation aux droits de l�homme ne se fait pas. D�un point de vue politique, les �tats ne mettent pas en �uvre les formations n�cessaires aux enseignants pour qu�ils soient form�s � cette �ducation et afin qu�ils orientent leur politique �ducative dans le sens du respect des droits de l�homme. On peut dire, qu�� part quelques pays qui les introduisent dans leurs cours scolaires dans des disciplines distinctes telle que l��ducation � la citoyennet�, peu d��tats les ont int�gr�s dans leurs programmes scolaires et dans la formation du corps enseignant. Il faut le savoir. Donc, c�est toujours aux ONGs, qu�incombe la t�che de d�velopper des mat�riaux didactiques et de sensibiliser les enseignants et l�opinion publique � l�importance d�une �ducation aux droits de l�homme.�26
C�est un constat pessimiste, puisque, malgr� tout, c�est bien gr�ce aux progr�s de l�enseignement aux droits de l�homme que l��ducation � la paix fait son chemin.
De la violence � la non-violence
L�homme violent a marqu� le XXe en forgeant un mod�le centr� sur l�autorit�. Et en ce sens, Hitler, Staline, Mussolini comptent parmi ses protagonistes. Le grave probl�me qu�a rencontr� l��ducation � la paix et aux droits de l�homme est justement l�environnement social et politique centr� sur l�ob�issance et l�autorit�.
La transgression fait aussi partie du monde scolaire. En temps de guerre, tout est permis. Et le respect du droit est superflu. En temps de paix, l�ordre r�gne. Ordre et d�sordre viennent se superposer dans cette qu�te de la paix dont l��quilibre est fragile. Sans cesse l�utopie peut basculer et devenir, par sa d�finition d��tat non-existant, �tat de d�sordre qui an�antit l��tat de paix recherch�.
Mais ce m�me si�cle est �galement marqu� par la non-violence dont l�impact para�t comme un legs durable fait � l�humanit�. � ces hommes violents, s�oppose l�homme non-violent : Gandhi, Martin Luther King, Dala� Lama et beaucoup d�autres viennent au secours de la paix et de la non-violence. La non-violence est l�une des composantes avec lesquelles les recherches en mati�re d��ducation � la paix doivent compter. Pas de paix sans la suppression de la violence.
La violence a toujours fait partie du monde de l��cole, surtout sous forme de punitions corporelles mais �galement d�agressions verbales.
L��ducation � la violence implique l�assassinat, le meurtre, le mobbing, le viol, caract�ristiques qui se retrouvent dans un �tat en guerre. Cette �ducation fait ressortir toute l�agressivit� de l�homme et la haine n�cessaires pour combattre et mener une guerre. �duquer � la paix, c�est, par contre, faire ressortir les meilleures qualit�s du sujet pour lui proposer d�apprendre, comme le pr�conisait Aristote le �m�tier de l�homme�. Ce m�tier �tant centr� sur les valeurs de justice, de tol�rance et de respect de l�autre27.
La d�finition de �culture de la paix� de 1994 n�est pas encore associ�e � la non-violence, mais laisse d�j� pressentir un acheminement certain comme le prouve la promotion, en 1997, d�une campagne lanc�e par une vingtaine de Prix Nobel de la paix afin que la d�cennie 2000-2010 soit d�clar�e �d�cennie pour la culture de la paix et de la non-violence�28. Un temps somme toute, o� l�enfant devenu homme se r�concilie avec soi-m�me et avec son environnement en luttant contre les racines de la violence et de l�agressivit� qu�il porte en lui? Une nouvelle page de l�histoire est en train de s��crire.
L�Assembl�e g�n�rale des Nations Unies en d�clarant, le 3 mars 1997, l�Ann�e 2000 �Ann�e internationale de la culture de la paix� (A/RES/51/101) et en conf�rant la t�che d�en assurer la coordination � l�UNESCO, a fait preuve � la fois d�utopie mais aussi de r�alisme. Le fait de prolonger le travail sur une d�cade, par sa r�solution du 19 novembre 1998, en proclamant la p�riode 2000-2010, �La d�cennie internationale de la promotion d�une culture de la non-violence et de la paix� au profit des enfants du monde est un acte de courage et le signe pr�curseur d�un travail entrepris sur les mentalit�s collectives. La paix pour devenir vraiment universelle doit se pr�parer dans chaque esprit.
Historiquement, les pr�curseurs de l��ducation � la paix, mis � part les Quakers, ont longtemps h�sit� � introduire la non-violence comme un �l�ment constitutif de leur programmes d��ducation. Ils �voluent dans un environnement dans lequel la non-violence repr�sente une menace pour la d�fense nationale de la plupart des �tats qui, n�h�sitent pas � punir les objecteurs de conscience et, de ce fait, � les exclure du corps enseignant.
La violence, est un ph�nom�ne social qui a fait irruption dans les �coles avec davantage de force que dans le pass�. Ce qui veut dire que, tant que l��cole reposait sur un mode de fonctionnement autoritaire, le recours � la violence servait � r�primer la violence. L��cole �tait le reflet de la culture de guerre. Au moment o� la d�mocratie s�installe, le d�bat surgit au sein de l��cole. Aujourd�hui, tout le monde sait que la violence � l��cole existe et qu�il faut en parler. Comme l�a soulign� Bernard Charlot : �... la question des violences scolaires, plus que d�autres, bouscule des repr�sentations sociales qui ont valeur fondatrice : celle de la soci�t� elle-m�me (pacifi�e en r�gime d�mocratique...).�29
Les �l�ves sont davantage consult�s, ce qui permet de mettre en pratique les institutions d�mocratiques qui r�gissent la soci�t�. � ce titre, les exp�riences sont nombreuses, comme celle de l�institution en 1975 du �D�l�gu� Flash� qui se veut un outil d�int�gration des �l�ves dans l��cole. Pourtant, vingt ans d�exp�rience font dire � Pierre Jourdan, sp�cialiste de la vie scolaire depuis 1971 : �Lorsque les lyc�ens sont �dans la rue�, il peut arriver que le r�seau de leurs repr�sentants, pr�vu d�s 1969 et largement �toff� depuis, n�ait pas fonctionn� correctement ou soit encore insuffisant.�30
Les institutions scolaires ne sont-elles en train d�accomplir un grand pas? Celui qui ancre la culture de la paix, des droits de l�homme, et de la d�mocratie dans les m�urs scolaires? L��cole est en voie de devenir un lieu d�apprentissage propice au travail de groupe, � la confrontation d�id�es, de d�bats, � l�entraide r�ciproque, � l��coute, au respect et, surtout, � une meilleure connaissance des racines culturelles de �l�autre�. Seulement en respectant ces pr�ceptes, il est possible de s�acheminer vers une �culture de la paix�.
L��cole n�a jamais �t� � l�abri de la violence. D�sormais, en instituant une ann�e consacr�e � la culture de la paix et de la non-violence, l�attention est port�e sur ce ph�nom�ne. L��ducation � la non-violence est reconnue officiellement comme l�une des voies les plus prometteuses pour parvenir au r�glement des probl�mes des soci�t�s secou�es par la violence31. Il est de plus en plus souhaitable que les enseignants soient form�s aux techniques de la m�diation et de gestion des conflits32.
Dans les prochaines ann�es, la recherche p�dagogique devrait se porter de plus en plus sur ce domaine. L�Afrique du Sud constitue un laboratoire puisque des nouvelles institutions pour la promotion de l��ducation � la paix surgissent. Ce sont les nouveaux h�pitaux o� sont soign�es les blessures de l�histoire provoqu�es par la haine, la discrimination, la violence et la vengeance33.
IV. De l�utopie de la paix � la culture de la paix
L�une des caract�ristiques principales des utopies est qu�elles traversent les si�cles en reprenant des th�mes d�j� chers � Platon, Socrate, Saint Augustin, Tommaso Campanella, Thomas More, Aldous Huxley, George Orwell. Des trait�s philosophiques � la science fiction, tous ces �crits ont en commun un monde non-existant qui se pr�sente sous la forme d�un lieu : de la R�publique de Platon, � La Cit� de Dieu de Saint-Augustin en passant par toute une s�rie de repr�sentations de pays imaginaires comme le pays de Cocagne, les �les paradisiaques, ou encore le r�ve de mondes meilleurs.
L�utopie de la paix en tant que valeur universelle est souvent associ�e � d�autres concepts, en particulier, � ceux de libert�, de d�mocratie et de solidarit�, v�hicul�s par les premi�res figures embl�matiques qui pr�nent ce type de paix : Victor Hugo et Giuseppe Garibaldi.
Victor Hugo contribue � rendre le mouvement pacifiste populaire. C�est gr�ce � lui que l�appellation d��tats-Unis d�Europe, une autre utopie pacifiste, est r�pandue et que l��tiquette de �doux r�veurs et d�utopistes� est brav�e. En 1849, il inaugure le Congr�s de la paix de Paris en �humble et obscur ouvrier� et dit qu�il fait partie de ces �doux r�veurs� qui ouvrent brusquement la porte rayonnante d�un avenir d�livr� des fl�aux des guerres. Ces id�es choquent puisqu�elles font para�tre �l�impossible et l�id�al�34. Pourtant, les id�es pacifistes sont dans l�air et c�est toujours lors du Congr�s de la paix de Paris qu�appara�t la r�solution de d�raciner les pr�jug�s politiques et les haines h�r�ditaires par une meilleure �ducation de la jeunesse se fondant sur des m�thodes pratiques35.
Giuseppe Garibaldi, quant � lui, apporte une contribution � la fraternit� entre les peuples. Lors du Congr�s de Gen�ve de la Ligue de la paix et de la libert�, en 1867, il tient les propos suivants : �Toutes les nations sont s�urs. La guerre entre elles est impossible...�36
En affirmant que la fraternit� et l�amiti� entre nations rendraient la guerre impossible, Garibaldi redonne espoir aux peuples d�Europe et le mod�le des �tats-Unis d�Europe repr�sente, pendant plusieurs d�cennies, le mod�le d�un syst�me id�al vers lequel le continent doit s�acheminer. Nouvel ordre politique, centr� sur la d�mocratie, mais �galement nouvel ordre juridique qui va permettre � tous les peuples d�acc�der � leurs droits37.
Les Nations deviennent les composantes � partir desquelles le nouvel ordre de la paix r�gnera. La morale universelle devrait appliquer aux relations internationales les m�mes principes de justice et d�humanit�, appliqu�s dans les relations priv�es38.
Les �tats-Unis d�Europe n�ont certes pas vu le jour sous la forme pr�vue par Hugo et Garibaldi. N�anmoins, apr�s 1945, l�Europe n�a cess� de tendre vers une organisation plus politique de sa communaut� �conomique initiale. Quant au recours des �tats � l�arbitrage international celui-ci a trouv� dans la cr�ation de la Cour internationale d�arbitrage, qui a succ�d� aux Conf�rences de La Haye, un lieu o� d�sormais est consacr�e la primaut� du droit sur la guerre.
L�aspect social de la paix marque la rupture entre utopies politiques et utopies �conomiques ; entre ceux qui pr�tendent que pour parvenir � la paix il faut la r�volution et la guerre, et ceux qui, au contraire, condamnent la guerre sous toutes ses formes. Ces derniers sont beaucoup plus rares. Le recours � la guerre semble �tre le seul moyen envisag� pour que les peuples deviennent libres. Cette fracture se retrouve �galement au sein des socialistes et des anarchistes qui pr�nent un changement radical de soci�t�.
Ainsi la paix oscille entre une �tat violent et non-violent. La violence est justifi�e en tant qu�outil qui lib�re l�homme de son joug et le rend libre. Une fois lib�r�, l�homme pourra se consacrer �� la fondation d�un ordre nouveau� et poser les fondements d�un mod�le qu�il a imagin� et qu�il essaye de mettre en pratique.
L�imaginaire et le collectif se pr�parent et se travaillent. Imaginer une d�cade enti�rement consacr�e � la paix, c�est faire preuve � la fois de r�alisme et de proph�tie. L�homme a besoin de s�habituer aux nouvelles id�es. Il a besoin de figures embl�matiques qui repr�sentent un concept, celui de la paix. Pour faire vivre ces id�es, l��ducation � la paix doit puiser dans le r�servoir des laur�ats du Prix Nobel et dans le r�servoir institutionnel39.
Quoi de plus controvers� lorsque, par exemple, en 1998, Microsoft s�empare de personnages charismatiques parmi lesquels Gandhi pour en faire des �g�ries de ses ic�nes tapageuses? Salman Rushdie n�a pas manqu� de d�noncer ce ph�nom�ne : �Gandhi est devenu un concept flottant... une partie du stock de symboles culturels disponibles, une image qu�on peut emprunter, utiliser, d�tourner, r�inventer dans toutes sortes de buts, et peu importent l�historicit� et la v�rit�.�40
Microsoft serait-il devenu le porte-parole de la non-violence pour repr�senter l��re de la mondialisation? Et Gandhi, un personnage qui a refus� la modernit�, un symbole pour repr�senter l��re de la mondialisation?
V. En guise de conclusion
H�las, on ne peut donner de sens qu�� un enseignement qui s�inscrit dans la pratique. Enseigner des concepts tels que les droits de l�homme et la culture de la paix, c�est d�montrer les liens entre th�orie et pratique, entre textes juridiques, chartes, ou d�clarations et la r�alit�, proche ou lointaine. C�est �galement nouer des liens entre pr�sent et pass�, entre inconnu et connu, entre r�ve et r�alit� en voie de r�alisation. C�est �galement cr�er des moyens d�agir, d�observer, de comprendre et, surtout, d��largir � travers une meilleure connaissance de l�autre, son horizon culturel et humain.
Ayant pour but supr�me l�am�lioration de l�homme dans le sens large du terme, l��ducation � la paix a d� sans cesse lutter, et ceci depuis ses d�buts, contre les mentalit�s environnantes. Celles-ci �taient et sont encore, dans la plupart des cas, des mentalit�s belliqueuses, centr�es sur la comp�titivit�, le gain et la concurrence.
Finalement, cette �ducation est le produit de l�utopie, mais elle est transform�e en quelque chose qui devrait permettre aux �tats de mieux y adh�rer. Alors quel est le c�t� par lequel il convient d�aborder l��ducation � la paix? Par la cr�ation de mat�riels p�dagogiques? Par des r�formes? Par des manuels d�histoire ou par leur r�vision? Ou encore par la mondialisation et la cr�ation d�institutions sup�rieures qui �codifieraient, coordonneraient et organiseraient� l��ducation en la comparant, en la classant, en l��laborant, comme l�ont propos� Otlet et La Fontaine?
Toutes ses tendances refl�tent les h�sitations mais surtout le cheminement d�un travail qui a proc�d� d�abord en �veillant l�int�r�t parmi le public des instituteurs. Allaient-ils s�int�resser tous soudainement � la paix? Ou, au contraire, fallait-il les sensibiliser? Revoir les manuels chauvins qui v�hiculaient une id�ologie nationale qui mettait en jeu �l�ennemi�, le �boche� et �l�autre�? Ou, fallait-il travailler davantage sur l�enfant et l�homme, leur psychologie, leurs instincts d�agressivit�41? � tout cela vont s�ajouter les probl�mes d�une �poque, d�une soci�t� marqu�e par deux guerres mondiales : l��mergence du nucl�aire, la d�colonisation, les probl�mes d�environnement, de pauvret�? Ainsi chaque cause a ses leaders. Chaque utopie cherche � se r�aliser � travers quelques figures embl�matiques qui vont montrer l�exemple m�me � l��cole.
La dialectique de l�utopie de la paix est confront�e dans sa mise en �uvre, aux diverses composantes de celle-ci. Certaines de ces composantes peuvent se r�aliser, d�autres ne se r�aliseront jamais. Les utopies perdraient-elles, d�s qu�elles se r�alisent leur caract�re dynamisant? Est-ce dire que les utopies sont des repr�sentations sans lesquelles un projet ne se r�alisera pas? Et du moment qu�il se r�alise, perd-il le c�t� utopique qui a �t� � sa source?
Et comme le disait Lucian Boia, historien des mythes et de l�imaginaire, en se r�f�rant � l�Europe, le grand probl�me est l�adaptation du tandem identit� et alt�rit�. L�Europe ne peut donc pas se faire contre les identit�s nationales. Quoi qu�il en soit, une chose semble certaine pour Boia : �l�Europe se fera aussi dans l�imaginaire ou ne se fera pas.�42 Nous sommes tent�s de dire que �la culture de la paix se fera aussi dans l�imaginaire ou ne se fera pas�.
Nous voici au c�ur de cette ann�e 2000, vou�e enti�rement � la �culture de la paix� et aussi au c�ur de la d�cennie 2000-2010, D�cennie internationale pour la promotion d�une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde. Aura-t-il fallu attendre un nouveau mill�naire pour tenter de mettre en pratique dans les relations culturelles des peuples les mots de non-violence et de paix? Les nations seraient-elle enfin pr�tes � s��duquer r�ciproquement, comme le laissait entendre Fr�d�ric Passy?
La paix est souterraine. C�est une d�cision int�rieure, mais aussi collective que prendront les hommes qui auront d�cid� de ne pas tol�rer la violence dans toutes ses formes. �duquer � la paix, c�est ne pas abandonner l�espoir �d��lever l�homme�. Et comme l�a �crit l��crivain norv�gien Bjoernstjerne Bjoernson au d�but du si�cle : �La force n�est pas dans la victoire. Le plus fort est celui qui fait un pacte avec l�avenir�. Voil� une fa�on de croire encore dans le bien-fond� des utopies!
� CIFEDHOP 2009