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Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix


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Entre violence et apprentissage:
La vie ordinaire des enfants pauvres d�un quartier montr�alais:
Deux intervenantes racontent

Propos recueillis par Jean H�naire


Respectivement conseill�re p�dagogique et infirmi�re, France Laroche et Louise De l��toile travaillent toutes deux dans des �coles primaires du quartier le plus d�favoris� de l��le de Montr�al : le Centre-Sud. Le quart des 43 000 habitants vit de prestations d�aide sociale. L�esp�rance de vie sans incapacit� physique se situait, pour la p�riode 1989-1993, � 59,7 ans, soit 10,1 ans de moins que pour la r�gion de Montr�al. Le taux de famille monoparentales s��levait � 49 pour cent en 1996 et le taux de ch�mage, pour la m�me ann�e, grimpait � 17,7 pour cent. Selon un r�cent sondage effectu� aupr�s de la population concern�e, quatre probl�mes majeurs marquent la vie de ce quartier : la drogue, la d�linquance, la prostitution et l�itin�rance. D�apr�s les indicateurs socio-�conomiques, les �coles situ�es dans ce quartier sont parmi les plus pauvres du Canada.
Entretien r�alis� par Jean H�naire.

-Th�matique. On entend dire souvent de ces enfants qu�ils sont les h�ritiers de la violence. Que peut-on entendre au juste par cela?

-Louise De l��toile. Il faut comprendre que pour plusieurs d�entre eux, leur procr�ation m�me rel�ve de la violence : l�adolescente ou la jeune femme viol�e qui tombe enceinte, le p�re qui ignore tout de la grossesse de sa conjointe et dont la nouvelle, une fois apprise, d�clenche des sc�nes de violence conjugale. Les jeunes futurs p�res sont mal pr�par�s et devant l�annonce inattendue de leur paternit�, ils paniquent, fuguent, craquent et abandonnent souvent le foyer. C�est dans cette atmosph�re qu�essaient de grandir les enfants de ce quartier. En outre, le tissu social dans son ensemble est d�t�rior� : la prostitution, la criminalit� et la drogue font partie du paysage quotidien. Nombre d�entre eux manifestent des syndromes post-traumatiques dus � l�ensemble de ces facteurs.

-Th�matique. Dans un contexte qui, d��vidence, semble fort peu propice � l�apprentissage, comment d�finiriez-vous votre r�le?

-France Laroche. D�abord, soutenir moralement, si je puis dire, les enseignantes et les enseignants de ces enfants. En fait, il faut trouver ensemble de nouvelles mani�res d�enseigner, transformer la classe pour qu�� l��cole ces �l�ves se sentent en s�curit�. L�apprentissage du vivre-ensemble est un d�fi constant pour des enfants qui grandissent dans la violence. Il faut comprendre qu�� l�ext�rieur de l��cole, l�adversit�, les brimades, voire l�abus sexuel, font partie de leur univers quotidien. Sans compter le fait qu�ils sont loin de toujours manger � leur faim. Ce qu�il faut constamment garder � l�esprit, c�est que nous ne travaillons pas dans la normalit� des choses si tant est que la normalit� a un sens.

-Louise De l��toile. J�ajouterais que dans ce milieu de vie, il n�y a pratiquement ni rep�res ni mod�les qui permettent � ces enfants de d�velopper une image positive d�eux-m�mes. Les comp�tences parentales font d�faut. Tr�s souvent, les m�res n�ont pas encore franchi le seuil de l�adolescence ; elles sont d�sempar�es devant leurs nouvelles responsabilit�s. Idem pour les p�res. C�est ainsi qu�avant m�me que ces enfants n�aient l��ge d�entr�e � la pr�-maternelle, il faut faire un travail d��ducation parentale � domicile et commencer tr�s t�t le suivi de ces enfants. C�est donc aussi un r�le d��ducatrice qui me revient.
-Th�matique. Dans ces conditions, on peut penser facilement que ces enfants accumuleront donc tr�s t�t dans leur vie d��colier les �checs scolaires.

-France Laroche. Voil� pourquoi il faut trouver des moyens de ne pas mettre ces enfants en situation d��chec. Il faut recr�er la confiance envers les adultes et �viter qu�ils n�int�riorisent l��chec avant m�me d�avoir commenc� � apprendre. Je pense qu�il faut �viter, par exemple, de mettre l�accent sur l��valuation sommative. Il faut accompagner ces �l�ves dans leur cheminement, revenir sur des notions non comprises plut�t que de les p�naliser par des notes qui les stigmatiseront et qui ne feront que refl�ter le sentiment d�impuissance qu�ils ont tendance facilement � cultiver. Il faut cesser de comparer leurs performances � celles de l��colier id�al ou m�me moyen. L�effort consenti pour apprendre devrait �tre reconnu comme une valeur ajout�e, compte tenu des conditions dans lesquelles vivent ces enfants.

-Louise De l��toile. Les retards de d�veloppement, de langage, de l��crit et de toutes autres sortes rendent les apprentissages laborieux, voire p�rilleux. Inutile de vous dire qu�on ne peut assur�ment pas enseigner dans ces �coles de la m�me mani�re que dans celles des beaux quartiers. Ces enfants ont besoin de d�velopper l�estime de soi, apprendre � communiquer sans recourir � la violence verbale ou physique. Leur capacit� d�attention est r�duite. Il faut prendre un temps consid�rable � les �couter pour qu�ils apprennent � avoir confiance en les adultes, eux pour qui les menaces, les brimades font partie de leur �normalit�.

-Th�matique. La logique de la r�ussite scolaire ne s�oppose-t-elle pas � ce que vous pr�conisez?

-France Laroche. Je ne suis pas fataliste. Je crois que l�on peut adapter le curriculum pour le rendre accessible � ces enfants. L�introduction des cycles d�apprentissage au primaire devrait permettre un meilleur encadrement des apprentissages. Mais � la condition cependant que les enseignantes et les enseignants puissent travailler en �quipe, suivre l��volution de leurs �l�ves et d�finir ensemble des strat�gies communes. On pourrait assez facilement, � mon avis, favoriser une meilleure int�gration des savoirs. Par exemple, d�finir un continuum d�apprentissage de la premi�re � la sixi�me ann�e avec un projet �ducatif qui permet l��mergence de leur cr�ativit� : les marionnettes chez les petits jusqu�au multim�dia chez les plus grands en passant par la �gymna-cirque� et le th��tre. Il leur faut apprendre � canaliser l�insolence, � transformer leur agitation en �nergie positive.

-Louise De l��toile. En effet, � titre d�exemple, le jeu th��tral est la prise de parole r�fl�chie. C�est un merveilleux exutoire aussi. Les enfants apprennent � �tre appr�ci�s, applaudis par leur pairs, ce � quoi ils ne sont gu�re habitu�s. Mais j�aimerais que, dans ce contexte, on red�finisse ce qu�on entend par �r�ussite scolaire�.

-Th�matique. Les enseignants sont-ils form�s � cette fin?

-France Laroche. Cette question soul�ve un probl�me. Je suis �tonn�e de constater que les jeunes enseignants qui sortent de l�universit� ne sont pas pr�par�s � affronter les situations v�cues par les enfants de milieux tr�s difficiles. De plus, les jeunes enfants qui y habitent sont � la recherche de mod�les ; or les jeunes enseignants, pour plusieurs du moins, ne semblent pas en mesure de s�imposer en tant que r�f�rent culturel, si je puis dire. Pour donner le go�t de la litt�rature, il faut commencer par l�avoir soi-m�me et ainsi de suite. Mais il y a aussi le fait, que les autorit�s administratives attendent trop des enseignants. On leur demande de surveiller les r�cr�ations, de remplir d�interminables bulletins cumulatifs, de rencontrer les parents, etc. Ils ne peuvent pas �tre partout � la fois.

-Th�matique. Les enseignants peuvent-ils compter sur le soutien d�autres acteurs du quartier?
-France Laroche. Vous savez, le quartier Centre-Sud compte pr�s de deux cents organismes de soutien � la population d�munie. Par ailleurs, ces organismes jouent en partie un r�le suppl�tif face � la d�t�rioration du tissu social. C�est aussi le cas � l��cole o� infirmi�res, di�t�tistes, travailleuses sociales, etc. unissent leurs efforts pour am�liorer la vie des jeunes. Il faut se rappeler que nous ne sommes plus � l��poque o� les parents, les voisins, la paroisse voyaient chacun � sa mani�re � l��ducation des jeunes. Aujourd�hui, l��clatement des familles, l�individualisme ambiant ont en quelque sorte fait sauter les m�canismes simples de r�gulation sociale. Par ailleurs, et cela peut sembler paradoxal � premi�re vue, un grand nombre de parents soutiennent l��cole dans ses tentatives pour stimuler l�int�r�t des enfants car ils se rendent bien compte que sans comp�tences, ces enfants sont promis � l�exclusion. Tout n�est pas noir et une des grandes erreurs � ne pas commettre, c�est de sombrer dans le mis�rabilisme.

-Louise de l��toile. On aurait tort de penser, malgr� les conditions de vie souvent peu enviables, que tous les efforts de la communaut� sont vou�s � l��chec. Plusieurs projets d�insertion sociale sont mis en �uvre. Nous avons m�me r�ussi � �viter � plusieurs jeunes m�res adolescentes un s�jour en centre d�accueil. Nous sommes tr�s pr�sents dans leur vie quotidienne en les aidant � apprendre � devenir parents. Nous sommes des �ducateurs inscrits dans la communaut� de proximit�.

-Th�matique. Quelles formes peut prendre une �ducation � la paix, compte tenu de ce que vous venez de d�crire?

-France Laroche. Il faut provoquer l��tincelle, si je puis dire. Ces enfants ne sont pas des cas d�sesp�r�s. Ils appr�cient un tas de choses, telles les sorties �ducatives ; l��cole est pour eux un lieu de construction de soi � tel point parfois qu�ils appr�hendent les vacances scolaires parce pendant cette p�riode, ils sont laiss�s souvent � eux-m�mes. Dans ce sens, l��cole leur apprend � vivre ensemble dans le respect de l�Autre.

-Louise De l��toile. Cela peut effectivement para�tre utopique d��duquer pour la paix apr�s ce qui vient d��tre dit. Mais j�y crois. Ce qu�il faut apprendre � ces enfants, c�est la r�solution non violente des conflits : juguler la col�re, cultiver l��coute. Le soutien aux parents ainsi qu�un travail d��quipe � l�int�rieur de l��cole sont parmi les pistes les plus prometteuses. La concertation est essentielle � l��ducation � la paix..

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� CIFEDHOP 2008