Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
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Cr�er des conditions d�un apprentissage de la d�mocratie
R�flexions sur la mise en pratique du droit dans la classe et dans l��cole
par Bernard Defrance*
Recherche de la v�rit�, �laboration du droit : ce sont pr�cis�ment l� les deux finalit�s articul�es auxquelles doit pr�parer l��cole. Avec ces deux finalit�s, nous sommes � chacun des extr�mes de l�exp�rience humaine : la recherche de la v�rit� suppose le loisir (schol�, en grec) c�est-�-dire le d�gagement de toute pr�occupation de survie, alors que l��laboration du droit est command�e par les urgences � r�gler la violence entre les hommes. B�squeda de la verdad, elaboraci�n del derecho: estas son precisamente las dos finalidades articuladas a las cuales debe preparar la escuela. Con estas dos finalidades, nosotros estamos en cada �no de los extremos de la experiencia humana. La b�squeda de la verdad supone el descanso (schol�, en griego) es decir el no compromiso con toda preocupaci�n de sobrevivencia, mientras que la elaboraci�n del derecho est� determinada por la urgencias de regular la violencia entre los hombres. Search for truth, development of law : it�s exactly these two joint objectives for which schools must prepare. With these two goals, we are at both extremes of the human experience : the search for truth assumes the leisure (schol� in Greek), or the lack of need, to be preoccupied with survival, while the development of law is driven by the necessity to resolve violence between human beings. |
IMPOSSIBLE, OU PRESQUE, DE PLACER UN MOT : mes vingt-cinq �l�ves de terminale scientifique de lyc�e sont en �bullition ! L�heure pr�c�dente, mon excellent coll�gue d�histoire et g�ographie, devant les bavardages incessants et l�indiff�rence g�n�rale o� tombait son cours, a craqu� : il a exclu toute la classe, laquelle a �t� intercept�e sur le chemin de la permanence par la conseill�re d��ducation, ramen�e dans la salle et, apr�s sermon d�usage, s�est vue infliger deux heures de retenue collective. Banal. Mais, si, lorsque nous �tions nous-m�mes lyc�ens, nous n�aurions pas song� une seconde � remettre en cause la l�galit� et la l�gitimit� de ce genre de punitions, il se trouve qu�aujourd�hui les �l�ves ne les acceptent pas, m�me s�ils s�y r�signent le plus souvent. Et, en l�occurrence, ils ressentent un sentiment confus d�injustice mais sans pour autant pouvoir exprimer clairement en quoi consiste exactement cette injustice.
Donc� que faire ? J�ai d�j� quelques difficult�s � obtenir un r�cit pr�cis de l�incident. �a fuse dans tous les coins, et je me permets de leur faire observer qu�en effet leurs bavardages incessants, leur incapacit� � respecter les r�gles simples de la parole en groupe, me sont � moi aussi particuli�rement p�nibles � supporter : me voil� oblig� de hausser le ton, de faire taire, de menacer ! Le calme revenu, je demande pourquoi ils n�ont pas signal� � la conseill�re d��ducation et � leur professeur ceux et celles qui, � l��vidence � je les d�signe en m�me temps et personne ne contredit �, ne participaient pas au chahut collectif : "Vous laissez punir des camarades alors que vous savez qu�ils n�ont rien fait ?" Stupeur : n�est-ce pas ici le r�gne du �chacun pour soi� ? Depuis quand faudrait-il s�inqui�ter des injustices subies par autrui ? Je dois donc rappeler deux principes du droit : nul ne peut �videmment �tre puni pour un acte qu�il n�a pas commis, et chacun est tenu � l�obligation d�assistance � personne en danger. Apr�s tout, ces questions sont � mon programme de philosophie� Mais je me fais un peu peur tout de m�me : ne suis-je pas en train de rompre la solidarit� avec mes coll�gues de �l��quipe �ducative� ? Puisque nous sommes en cours de philosophie, je suis bien oblig� de faire remarquer que, s�il y a bien une diff�rence de degr� � heureusement ! � entre cette punition collective et n�importe lequel des g�nocides qui ont marqu� le 20e si�cle (et qu�ils ont peut-�tre �tudi�s justement en histoire, � condition de suivre le cours !), il n�y a cependant pas de diff�rence de nature : quelqu�un se trouve �puni� non pas � cause de ce qu�il a commis mais � cause de ce qu�il est, arm�nien, juif, tutsi� ou �l�ve de cette classe ! Ils sont tr�s contents d�entendre que la punition collective est en quelque sorte ill�gale et je m�emploie donc � refroidir leur excitation en expliquant que la reconnaissance de l�innocence de certains d�entre eux implique la reconnaissance de culpabilit� des autres, et, pour ceux-l�, je pose la question de savoir combien sont majeurs : la moiti� environ� "Alors, pour vous, c�est deux heures de colle �videmment, et les autres une heure." Exclamations, interpellations, agitation, protestations� Et je dois l� aussi rappeler une �vidence du droit, � savoir que, pour une m�me transgression, contravention, d�lit ou crime, un mineur est moins lourdement puni qu�un majeur. L�un des d�l�gu�s, sachant que j�ai �t� �lu au conseil d�administration du lyc�e, s�inqui�te de savoir si j�ai l�intention de proposer l�application de ce principe dans le r�glement int�rieur : "Et comment ! C�est �videmment indiscutable." Je fais gr�ce au lecteur des commentaires juridiques et des prolongements philosophiques�
Cet autre groupe dans lequel j�interviens est nettement plus �sage� que ma classe de terminale : il s�agit d�une trentaine de chefs d��tablissements en stage de formation continue ! Ils ont travaill� sur diverses �tudes de cas r�els et une principale de coll�ge rapporte la r�flexion des stagiaires sur la situation d�un de ses �l�ves. Cette fois-ci, Sa�d y a �t� vraiment trop fort : dix-sept points de suture et huit jours d�hospitalisation pour la victime de cette bagarre de �r�cr�, et, comme ce n�est pas la premi�re fois h�las qu�il fait parler de lui, le conseil de discipline devient in�vitable et Sa�d terminera donc sa troisi�me dans un autre coll�ge� La principale fournit toutes les informations psychologiques, familiales et sociales, qui nous permettront de comprendre d�o� vient la violence de Sa�d : p�re maghr�bin au ch�mage, tr�s violent � l��gard de son fils a�n� (c�est, quasi-quotidiennement, le traitement � coups de ceinture, voil� un p�re qui ne �d�missionne� pas !) lequel est tr�s jaloux du petit fr�re pr�f�r� de sa m�re. Sa�d est vraiment, en classe ou ailleurs, �insupportable�, m�me si son niveau scolaire reste � peu pr�s acceptable� Que s�est-il pass� ce jour-l� ? � la r�cr� donc, Sa�d voit, de loin, un �grand� agresser son petit fr�re qui est en sixi�me. Son �sang� ne fait qu�un tour : il se pr�cipite, intervient tr�s violemment et l�agresseur du petit fr�re ne fait pas le poids tr�s longtemps� Un surveillant r�ussit � fendre le cercle des spectateurs et les s�pare. Il a droit au flot d�injures dont Sa�d est coutumier. Enqu�te, conseil de discipline, exclusion, in�vitable d�sormais avec le lourd contentieux disciplinaire que tra�ne Sa�d�
L�ensemble des stagiaires convient en effet que cette exclusion du coll�ge et r�inscription dans un autre est sans doute la moins mauvaise solution : peut-�tre Sa�d, �loign� de son fr�re, s�par� de ses camarades, avec d�autres professeurs, retrouvera-t-il un peu de s�r�nit� et pourra-t-il passer en lyc�e puisque son niveau scolaire n�est pas vraiment mauvais� peut-�tre ! J�interviens cependant en conclusion de ces analyses en proposant de prendre l�affaire, non seulement d�un point de vue scolaire, psychologique ou familial, mais aussi juridique. Qu�en est-il en effet exactement ? D�un point de vue psycho-familial, on comprend bien ce qui se passe : dans la culture d�origine, le petit fr�re n�est pas encore pub�re, il est encore �du c�t� des femmes�, alors que Sa�d, lui, est d�finitivement du c�t� des hommes� L�agresseur de son petit fr�re est en train de lui faire ce que lui-m�me, dans sa jalousie, r�ve de lui faire ! Et la culpabilisation li�e � ce d�sir plus ou moins conscient l�am�ne � intervenir tr�s violemment pour �r�parer� en quelque sorte : "Je ne suis pas jaloux du petit fr�re, voyez : je le d�fends�" Et Sa�d ne pourra que conclure qu�il est exclu du coll�ge pour avoir d�fendu son petit fr�re !
J�interroge : quelqu�un a-t-il dit � Sa�d que, dans un premier temps, il avait eu raison d�intervenir pour faire cesser l�agression ? Il ne le semble pas� Or, en droit, n�importe quel citoyen, t�moin d�un acte d�lictueux quelconque, dans la mesure o� cela est en ses moyens, a le droit, et m�me le devoir, d�intervenir pour faire cesser le d�lit et arr�ter le d�linquant, a fortiori s�il s�agit d�une agression � l��gard d�une autre personne : dans les r�cits de faits divers, il est extr�mement fr�quent que les victimes se plaignent de la passivit� des t�moins, passivit� souvent stigmatis�e dans les r�cits, journalistiques par exemple� Et donc Sa�d ne peut �tre puni que parce que la violence exerc�e � l��gard de l�agresseur de son petit fr�re est all�e largement au-del� de la violence de neutralisation (polici�re, au sens strict), seule l�gitime. De plus, ni l�agresseur, ni les spectateurs n�ont �t�, eux, mis en cause ou punis : l�agresseur du petit fr�re est, il est vrai, � l�h�pital� C�est bien cependant lui qui est le principal responsable dans cette affaire : "c�est lui qui a commenc�" ! Quant aux spectateurs, les bons camarades faisant cercle, voyeurs sadiques du spectacle, ils seront encore moins inqui�t�s pour leur non intervention dans la premi�re agression aussi bien que dans la deuxi�me : or, l� aussi, d�un point de vue juridique, leur responsabilit� est plus importante que celle de Sa�d qui, lui, au moins, intervient� m�me s�il se laisse d�border par sa propre violence (de m�me qu�un policier peut se laisser aller � la bavure�). Il est n�cessaire certes que Sa�d soit puni pour cette �bavure�, mais il ne pourra v�ritablement comprendre cette punition que si les autres responsables de cette bagarre sont, eux aussi, punis, au moins symboliquement, et d�s lors l�exclusion ne para�t plus tout � fait la sanction appropri�e, dans la mesure o� elle est la plus grave possible : si Sa�d est exclu, que faire vis-�-vis des autres, dont la faute est, juridiquement, plus grave ?
Lieu commun des colloques dans le secteur �ducatif et nouvelle mode envahissante : la formation � la citoyennet� Mais la plupart du temps cette �ducation de la citoyennet� n�est per�ue que sur le mode habituel de la transmission : transmettre des �valeurs�, comme on continue, malgr� les �checs �vidents de la p�dagogie impositive et frontale, � �transmettre� les savoirs. Certes, et �videmment, la formation de la citoyennet� � l��cole suppose des informations sur le droit civil et p�nal ainsi qu�une r�flexion historique et philosophique sur les principes du droit. Mais si ces informations et cette r�flexion viennent en contradiction avec des fonctionnements institutionnels quotidiens, le r�sultat risque d��tre l�inverse de celui que l�on se proposait. Et, en effet, chacun peut constater que, dans nos soci�t�s, c�est bien celui qui conna�t le mieux les lois qui dispose du pouvoir de les contourner ou de les transgresser avec le plus d�efficacit�, sinon dans l�impunit� Une �ducation � la citoyennet� suppose donc une v�ritable mise en pratique de la loi dans les structures de fonctionnement institutionnel m�me de la classe et de l��tablissement. Les enfants et les adolescents per�oivent parfaitement bien les contradictions entre les discours et les actes. Il ne s�agit pas ici seulement des comp�tences psychologiques et p�dagogiques que les enseignants peuvent d�velopper pour sortir des face-�-face violents, des relations duelles et des rapports de forces, mais d�abord des rituels institutionnels, des statuts professionnels et des r�gles juridiques.
Les jeunes, nous dit-on, �n�ont plus de rep�res�. Mais quels sont donc ces fameux rep�res qui se seraient perdus ? Si, dans nos soci�t�s �clat�es, multiculturelles, o� les consensus sur les valeurs ont disparu, personne n�est d�accord avec personne, il importe alors de se mettre au moins d�accord sur les proc�dures m�mes de la discussion collective, qui permettent de r�gler, m�me provisoirement, les conflits en s�interdisant la violence. Et les �rep�res� consistent donc, non pas d�abord dans l�affirmation positive de valeurs, mais dans l�int�riorisation de principes n�gatifs qui autorisent le d�bat sur les valeurs positives et l��laboration collective des r�gles et des lois. Les deux anecdotes relatives � ma classe et � Sa�d montrent comment on pourrait appliquer ces principes dans les fonctionnements scolaires et ces �histoires� illustrent d�j� quatre (au moins) d�entre eux :
1) nul ne peut �tre puni pour un acte qu�il n�a pas commis ou dont il n�est pas complice ;
2) nul ne peut s�exon�rer d�une intervention dans la limite de ses moyens pour pr�venir ou faire cesser la commission d�un acte d�lictueux ou criminel dont il est t�moin ;
3) nul ne peut se faire justice � soi-m�me ;
4) pour un m�me acte un mineur est moins lourdement puni qu�un majeur.
Sujet donn� � l�examen du baccalaur�at il y a quelques ann�es en philosophie : "Peut-on s�opposer � la loi ?" Les cent vingt-deux candidats ayant choisi ce sujet, dont j�ai eu � corriger les copies, avaient tous � je dis bien tous � r�pondu, sous des formes vari�es : "On peut toujours s�opposer � la loi du moment qu�on ne se fait pas prendre." ! R�sultat int�ressant de quinze ans � au moins � d��cole� Force est de constater que l�exp�rience quotidienne des �l�ves contredit tr�s souvent les principes indiscutables du droit : tous nos discours moralisants, tous nos cours d�instruction civique n�ont �videmment que tr�s peu de poids au regard de cette contre-�ducation civique cach�e que produit la structure ordinaire des relations enseignants-�l�ves et l�exp�rience quotidienne de l��cole. Ne nous �tonnons pas alors des r�sultats quant au degr� de conscience civique moyen du citoyen moyen� Et lorsque nous �tudions ce sujet de dissertation en cours, la surprise des �l�ves n�est pas mince de d�couvrir que �s�opposer� ne signifie pas transgresser et r�ciproquement ! Que celui qui transgresse la loi ne s�y oppose pas du tout, puisqu�il en a au contraire imp�rativement besoin pour pouvoir pr�cis�ment tirer le b�n�fice qu�il escompte de sa transgression (ce sont �videmment les dealers qui ont d�abord et imp�rativement besoin du maintien de l�interdit d�usage des drogues�) Et qu�en revanche n�importe quel citoyen peut s�opposer � la loi (ce que fait justement �l�opposition� au parlement) et essayer, en s�associant avec les autres citoyens qui partagent son analyse d�obtenir par des proc�dures d�mocratiques le changement de la loi. Exigence aussi, du coup, de prendre conscience du devoir (et pas seulement du droit) �ventuel de d�sob�issance et m�me de transgression quand les proc�dures d�mocratiques de discussion et d��laboration de la loi n�existent pas, ou lorsque, m�me d�mocratiquement vot�e, la l�galit� contredit la l�gitimit� (inutile de souligner ci la complexit� des analyses n�cessaires alors : la d�mocratie n�est pas l�application m�canique de la �loi de la majorit�, ce dont l�exemple le plus clair est l�ensemble des d�bats sur la peine de mort).
Quelques principes du droit dans l��cole
La loi est la m�me pour tous : certes� Mais que se passe-t-il, dans les faits, quand un �l�ve arrive en retard dans mon cours et quand j�arrive en retard moi-m�me ? D�risoire ? Pas s�r� La r�p�tition fr�quente de ces micro-incidents peut aboutir � l�int�riorisation progressive de l�id�e profond�ment perverse que certains sont �au-dessus des lois�, avec la r�signation � cet �tat de fait. Certes, il importe de pr�ciser que le r�gime de �punitions� n�est pas le m�me pour des �l�ves et pour des fonctionnaires disposant d�un statut. Et qu�il peut arriver qu�un enseignant soit sanctionn� (surprise alors des �l�ves de constater qu�il y a aussi des �conseils de discipline� pour les professeurs !). Toute la difficult� de mise en pratique du principe d��galit� devant la loi tient en ce que, � l��cole, si les enfants sont d�j� sujets de droit, ils ne sont cependant pas encore citoyens. Et donc toute la question �ducative tient en cette tension entre le �d�j�� et le �pas encore�, ce qui du coup renvoie les adultes � leurs propres responsabilit�s citoyennes et qui justifie le principe de l�excuse de minorit�. La loi est la m�me pour tous : � partir des majorit�s civiles, civiques et p�nales.
Toute infraction m�rite punition et r�paration : combien de fois sommes-nous tent�s de �fermer les yeux�� ou les oreilles ? Qui d�entre nous intervient spontan�ment lorsqu�il est t�moin d�une infraction quelconque ? Combien de fois punissons-nous sans qu�il y ait r�paration, ou faisons r�parer sans punition ? Difficile ici de comprendre les distinctions entre le �civil� et le �p�nal�, entre l�amende par exemple et les dommages et int�r�ts. Ce principe d�ailleurs suppose aussi l�anticipation quand elle est possible, c�est-�-dire que le citoyen ne doit pas seulement intervenir (dans la limite de ses moyens), il doit aussi pr�venir la commission de l�acte quand il le peut : avec un coll�gue, je traverse la vaste salle du restaurant scolaire o� plusieurs centaines d��l�ves d�jeunent, pour rejoindre la file d�attente du self ; je vois tout � coup un �l�ve se lever pour agresser celui qui est assis en face de lui, qui se l�ve � son tour �videmment, et je m�approche aussit�t en intervenant verbalement avec vigueur pour les calmer ; le premier �l�ve se rassoit, l�autre prend son plateau et change de place ; j�attends quelques minutes pour m�assurer que �a ne va pas recommencer d�s que j�aurais le dos tourn� ; puis je rejoins la file d�attente o� je retrouve mon coll�gue, qui me dit alors, ironiquement : "Mais de quoi tu t�occupes ? Il y a des pions qui sont l� pour surveiller, non ?" Je lui fais remarquer que ce n�est pas en tant que professeur que je suis intervenu mais simplement en tant que citoyen, tenu d�intervenir dans la limite des ses moyens pour pr�venir ou faire cesser la commission d�une infraction quelconque dont il est t�moin : en l�occurrence il �tait en mes moyens d�intervenir et d�ailleurs, le temps que le surveillant arrive, la bagarre se serait sans doute d�j� d�clench�e. Il est tr�s fr�quent dans les r�criminations concernant la violence � l��cole d�entendre des coll�gues protester et se plaindre de ce qu�ils n�ont pas re�u la formation n�cessaire � mater �les voyous� ! Qu�ils ne sont pas policiers, assistantes sociales, psychologues, animateurs socioculturels, �ducateurs sp�cialis�s, etc. Ils ont raison, �videmment, toutes ces fonctions et ces m�tiers correspondent � des formations pr�cises sanctionn�es par des dipl�mes qui ne sont pas les miens. � vouloir jouer un r�le qui n�est pas le mien, je risque de commettre de graves erreurs, et c�est bien seulement dans la limite de mes moyens que je peux, que je dois, intervenir. Mais ces coll�gues ici s�enferment dans leur stricte fonction, voire dans leur seule discipline, pour esquiver en r�alit� leur fonction citoyenne, qui est bien celle de n�importe quel majeur, � partir de dix-huit ans, et qui donc concerne aussi les �l�ves majeurs. Certes, je suis instituteur, professeur de math�matiques, de biologie, d��lectronique� ou de philosophie, c�est bien cela qui d�termine mes comp�tences, mais je suis aussi, et m�me d�abord, citoyen et donc tenu aux devoirs ordinaires du citoyen, et la fonction polici�re ordinaire en fait partie, de m�me d�ailleurs que la fonction de magistrat si je suis tir� au sort parmi les autres citoyens ordinaires, sans "formation" particuli�re, pour si�ger dans un jury de cour d�assises, par exemple.
La loi oblige � distinguer dans l��chelle de gravit� des punitions selon que l�auteur de l�infraction est majeur ou mineur : que se passe-t-il, dans les faits, quand je donne une claque � un �l�ve (�a n�arrive jamais bien s�r� encore que�) et quand un �l�ve me frappe ? Dans le premier cas, il se trouve certes des parents pour s�indigner : pour quels r�sultats concrets ? Il s�en trouve aussi pour venir voir l�enseignant pour qu�il tape plus fort sur le �rebelle� dont on ne vient plus � bout ! Et les punitions n�ont aucun rapport de gravit� selon que c�est un �petit� qui est victime d�une agression ou un adulte et, dans le deuxi�me cas, il n�est pas rare de voir les enseignants du coll�ge se mettre en gr�ve dans l�heure qui suit, en tout cas le conseil de discipline et bien s�r l�exclusion seront consid�r�s comme in�vitables, de m�me que le signalement au parquet des mineurs quand ce n�est pas directement � la police� Or, l� aussi, notre droit est parfaitement clair : la peine doit �tre plus lourde si la victime est mineure et l�auteur majeur, et encore plus si cet auteur majeur appartient � un corps d�tenteur d�une fonction d�autorit� publique.
Nul n�est cens� ignorer la loi : oui� mais seulement � partir de la majorit� civique ; combien de fois suis-je tent� de supposer connu par les �l�ves ce qu�ils viennent pr�cis�ment apprendre � l��cole ? Premier et dernier lieu social o� l�ignorance de la loi (et celle des savoirs) est encore l�gitime puisqu�on y vient pr�cis�ment pour la combler ! Le paradoxe fr�quent � l��cole est que, alors qu�elle a �t� cr��e justement pour soustraire les enfants � l�obligation de r�sultats en vigueur dans la vie professionnelle (et aussi pour les prot�ger des violences de la rue), les pr�gnances de l�inqui�tude quant � cet avenir professionnel aboutissent � les soumettre (quand ils ne la demandent pas eux-m�mes � travers les attitudes �consum�ristes� � Rimbaud ! "�a sert � quoi ?" !) au chantage aux notes et punitions, dans une perversion de l�obligation de r�sultats o�, � la limite, il faudrait d�j� conna�tre ce que l�on est en train d�apprendre ! Pr�cisons aussi, � propos de ce principe, qu�il ne signifie pas du tout que chaque citoyen devrait conna�tre tout de tous les r�glements, circulaires, arr�t�s, d�crets, lois, conventions collectives, constitutions, conventions et trait�s internationaux, d�ontologies professionnelles, etc., etc., mais seulement que chacun n�a pas le droit d�oublier que, d�s lors que son action implique autrui, il y a des lois et r�gles qui la norment, et donc qu�avant de conduire cette action, il est pri� de se renseigner� Cela exige aussi du coup de la puissance publique qu�elle organise doublement le libre acc�s aux textes et les proc�dures de leur discussion.
Nul ne peut se faire justice � lui-m�me : si je punis moi-m�me l��l�ve qui, par exemple, m�a injuri�, la punition ne peut pas alors �tre per�ue comme l�effet l�gal d�un comportement ill�gal mais seulement comme la vengeance de celui dont l�autorit� a �t� bafou�e. Je dois certes interrompre la commission d�un acte d�lictueux ou le signaler � l�instance comp�tente, mais le �policier� arr�te le d�linquant, il ne le juge ni ne le punit. Ce qui exige d�s lors l�institution d�une instance de m�diation et de jugement, compos�e de personnes non impliqu�es ; lorsqu�il y a une ou plusieurs victimes de l�infraction cette instance devrait d�abord si�ger en m�diation, puis seulement si elle �choue, en formation de jugement ; s�il y a seulement infraction, directement en jugement pour fixer r�paration et punition.
Nul ne peut �tre mis en cause pour un comportement qui ne porte tort qu�� lui-m�me : la seule exception dans notre droit positif en France concerne l�usage de drogues ; on ne punit plus le suicide mais on continue � punir le suicide ralenti en quoi consiste souvent (pas toujours�) la toxicomanie. Mais cette exception est la seule. Et donc qu�arrive-t-il � l��l�ve qui dort sur sa table et ne d�range personne ? � celui qui ne s�int�resse pas ? � celui qui n�apprend pas ses le�ons ? Que de fois les �l�ves sont-ils punis pour mauvais r�sultats ? La distinction, �vidente pour un juriste, entre le civil et le p�nal, semble avoir quelques difficult�s � entrer en vigueur dans les m�urs de nos �coles. Nul ne va en prison, de ces seuls chefs �d�accusation�, parce qu�il est analphab�te ou ch�meur ! Mais � l��cole on risque encore trop souvent la punition parce qu�on n�a pas compris ou appris tel ou tel point du programme d�enseignement. L�injonction quasi-permanente d��tre �motiv� (c�est-�-dire demandeur de ce qui est impos� dans le morcellement des emplois du temps et des disciplines) ne devrait plus utiliser les menaces de punitions diverses � en tout cas en France des textes de juillet 2000 interdisent d�sormais les punitions pour mauvais r�sultats scolaires � mais demeure la vraie sanction, c�est-�-dire la note et ses cons�quences sur le destin scolaire, et donc professionnel et humain, de l��l�ve. Or rien ne peut me contraindre � m�int�resser aux affres de Madame Bovary, aux subtilit�s de l�extraction des racines carr�es ou � me �motiver� pour les techniques du saut en hauteur� Les chantages aux punitions ou aux notes ne peuvent aboutir le plus souvent qu�� deux r�sultats : soit le d�go�t d�finitif pour la discipline consid�r�e, soit l�instrumentalisation de cette discipline qui ne sera �apprise� que dans l�objectif de l�interrogation ou de l�examen, lequel ouvre la possibilit� d�essayer de s�inscrire de la mani�re la plus �lev�e possible dans les hi�rarchies sociales de pouvoir. Si le savoir devient outil de pouvoir il n�est plus un savoir. Ce qui conduit directement au principe selon lequel�
Nul ne peut �tre juge et partie : principe qui ne saurait souffrir la moindre exception� sauf � l��cole ! O� c�est le m�me qui enseigne et qui juge ensuite des r�sultats de cet enseignement, ce qui, non seulement interdit la construction de la citoyennet�, mais pervertit la construction des savoirs elle-m�me, puisqu�alors les exigences de la recherche de la v�rit� se trouvent remplac�es par celles de la conformit� : "Qu�est-ce que je vais bien pouvoir mettre sur cette copie qui va "faire bien" et me permettra d�avoir une bonne note ?" Apprentissage continu, quinze ans durant, de la soumission et de l�hypocrisie� Qu�est-ce qui �motive� la r�ussite scolaire, exactement ? Il se trouve que quelques-uns uns r�sistent ! Et parfois violemment� Peut-on leur donner enti�rement tort ? Nous touchons ici au c�ur des fonctions m�mes de l��cole : la cr�ation des conditions de transmission, d�appropriation et de discussion des savoirs et des valeurs. D�une part, un travail d��valuation p�dagogique interne est n�cessaire pour l�organisation m�me des apprentissages et le r�glage des relations ; d�autre part une validation externe des comp�tences et savoirs acquis doit �tre conf�r�e par d�autres experts que ceux qui enseignent aux �l�ves : aucun syst�me ne peut s�auto-�valuer sans tomber dans des effets de miroir (ce qui explique que ce sont les enfants d�enseignants qui r�ussissent le mieux � l��cole !) o� disparaissent les finalit�s de l�institution au profit de sa propre p�rennit�, o� on oublie que l��cole est faite pour qu�on en sorte !
Enfin, dernier exemple de ces principes indiscutables, le citoyen ob�it � la loi parce qu�il participe avec les autres citoyens � son �laboration : o� et quand les futurs citoyens peuvent-ils apprendre � faire la loi avec les autres ? � l��cole on apprend � se soumettre � quelqu�un et non � ob�ir � la loi dont ce �quelqu�un� est, momentan�ment et par d�l�gation, porteur ; et donc r�ussir � l��cole c�est confondre ob�issance et soumission, de sorte qu�ensuite on puisse soumettre les autres, gr�ce aux �comp�tences� et dipl�mes acquis� Et sym�triquement les enseignants confondent pouvoir sur la classe et autorit� dans la classe, qui sont incompatibles.
Je ne peux pas continuer � pr�cher la vertu civique et l�ignorer dans ma pratique professionnelle : peut-�tre cette question a-t-elle un lien avec les corruptions ? Il n�y a, semble-t-il, aucune commune mesure entre un (ancien) ministre qui ment publiquement et un gamin insolent qui �nie l��vidence�, entre un directeur d�office de logement social dont la corruption est pay�e par des milliers de locataires et un petit ca�d de banlieue faisant dans les bizness divers� En r�alit�, si : leurs �morales� (ou leurs �rep�res� !) sont les m�mes ! Seuls diff�rent leurs rayons d�action et les co�ts financiers et sociaux de leurs d�g�ts.
Appliquer les principes du droit � l��cole ? Des solutions existent : que, en ce qui concerne les comportements (le �p�nal�), une instance ind�pendante dans l��tablissement prononce les punitions et fixe les r�parations (des coll�ges et lyc�es fonctionnent d�j� selon ce principe sous des formes vari�es), et que, en ce qui concerne la validation des r�sultats scolaires, (le �civil�), seules soient port�es sur les bulletins et livrets les notes obtenues dans les conditions d��preuves normalis�es, r�guli�res, anonym�es et corrig�es par d�autres enseignants que ceux de l��l�ve. Ce qui exigerait bien s�r que les r�glements int�rieurs soient r��crits selon les normes du droit, accompagn�s de leur code de proc�dure, et pr�voient leurs propres r�gles d��laboration et de modification. La mise en application de ces trois mesures, qui ne sont pas autre chose que la mise en �uvre effective dans l�institution scolaire des principes de la d�mocratie et notamment de la distinction des pouvoirs, n�exige ni d�lai ni finances suppl�mentaires.
Comment instituer l��cole non pas comme un espace d�mocratique, mais comme un temps d�apprentissage de la d�mocratie ? Les exigences quotidiennes de cet apprentissage sont connues et exp�riment�es depuis longtemps. Et il importe de pr�ciser, m�me bri�vement, quelques-unes unes des conditions de la pratique d�mocratique elle-m�me pour pouvoir travailler les conditions de son institution (au sens de processus instituant).
Depuis Montesquieu, on d�finit la d�mocratie comme �tant le r�gime dans lequel les �pouvoirs� (l�gislatif, ex�cutif et judiciaire) sont � la fois distincts et articul�s. Non sans difficult�s consid�rables, et avec encore beaucoup d�imperfections, cette conception a fini historiquement par pr�valoir dans l�organisation de l��tat, tout au moins dans les soci�t�s la�ques-d�mocratiques. C�est le r�sultat d�une longue �volution historique qui voit progressivement le principe d��galit� entre les hommes pr�valoir sur le principe hi�rarchique ; dans l�Ancien R�gime, aristocratique, chacun est d�fini par l�appartenance � sa classe, l�ordre hi�rarchique a son fondement en Dieu dont le Roi est le �lieu-tenant� sur Terre, l�autorit� a une origine transcendante. Dans le r�gime d�mocratique, la place du pouvoir est symboliquement vide : celui qui l�occupe ne l�occupe que provisoirement, au terme d�une comp�tition r�gl�e ; chaque citoyen est l��gal de tout autre et le fondement de l�autorit� ne peut r�sulter que de l�accord entre les hommes ; la disparition de la r�f�rence transcendante renvoie chacun, pour ce qui est du choix des valeurs, � sa propre conscience. Le pluralisme devient ainsi la r�gle et le principe d�mocratique dissout l�unification dans une seule compr�hension du monde. Cependant, les individus, d�s-empar�s, peuvent �tre tent�s de s�en remettre � l��tat du soin de leur protection pour ne pas assumer leur citoyennet�. D�o� l�importance extr�me, contre les risques de l��tat, excessivement �protecteur�, �tentaculaire� voire totalitaire, des libert�s fondamentales d�expression et d�association et de la s�paration des pouvoirs, l�ind�pendance des magistrats se trouvant alors au c�ur du dispositif qui garantit la d�mocratie contre les risques qu�elle engendre elle-m�me ; et, pr�c�dant ces deux garanties, les droits � l��ducation, l�instruction et la formation, tels que les d�finit par exemple la Convention Internationale des Droits de l�Enfant. Ce qui suppose que chaque citoyen soit en mesure de contribuer l��laboration de la loi, puisse se rendre capable d�en comprendre rationnellement l�exigence fondatrice d�articulation des libert�s individuelles.
Or la distinction des pouvoirs, si elle semble aujourd�hui acquise, en ce qui concerne les r�gimes politiques, n�existe toujours pas dans les institutions, puisqu�au l�gislatif et � l�ex�cutif la confusion ajoute le judiciaire, qui prend ici la forme du �r�glementaire�. Le pouvoir de punir, � l��cole, dans l�entreprise, � l�arm�e, dans n�importe quelle administration, appartient � la m�me instance ou personne qui fixe et ex�cute les prescriptions r�glementaires � m�me si, en th�orie, les d�cisions restent susceptibles de recours devant les tribunaux (judiciaires ou administratifs). L�institution prolonge ainsi le mod�le familial d�autorit� parentale sur les enfants, alors qu�elle est organis�e par et pour des citoyens, ou futurs citoyens. De nombreux �r�glements int�rieurs� comportent ainsi des dispositions ill�gales, et nombreux sont les responsables qui commettent des abus de pouvoir en toute bonne conscience, de m�me que sont nombreuses les victimes de ces d�cisions qui ignorent tout de leurs droits.
� l��cole, la question se pose avec d�autant plus de complexit� que les enfants et les adolescents sont, on l�a dit, d�j� sujets de droit mais pas encore citoyens. Tension in�vitable et complexe, qui fait que j�ai beaucoup de difficult�s dans mes classes � faire comprendre � mes �bavards� que, si je les fais taire, c�est pour qu�ils puissent parler ! C�est cette question du temps d�apprentissage, avec les doubles liens in�vitables qu�elle comporte (je me vois invit� � faire ce que je ne sais pas faire pour apprendre � le faire, � m�int�resser � ce qui ne m�int�resse pas pour m�y int�resser, etc.). En effet, toujours selon Montesquieu, la d�mocratie suppose la vertu en chaque citoyen, et donc l�organisation du syst�me �ducatif doit permettre l��closion et la consolidation de cette �vertu� : ce qui explique que l��cole a une double fonction, savante et morale, d�instruction et d��ducation.
De nombreuses exp�riences p�dagogiques ont montr�, depuis longtemps, que cet apprentissage progressif de la d�mocratie et de ses exigences est possible � l��cole. La caract�ristique commune � toutes les exp�riences de p�dagogies actives, coop�ratives, institutionnelles, est de tenter de permettre aux enfants d�organiser ensemble l�espace et le temps, de d�cider des travaux et activit�s, de se donner les outils mat�riels, culturels et institutionnels de leur libert�. Cependant l�immense majorit� des classes et �tablissements fonctionnent encore sous le principe �monarchique�, c�est-�-dire celui de la confusion des pouvoirs. Cette confusion joue aussi bien sur le plan des comportements que sur celui de l�acquisition des savoirs. La question ne d�pend pas ici des qualit�s �psychologiques� des acteurs (les aptitudes � la �relation�, � l���coute�, le �charisme� du ma�tre...) mais tient � la structure institutionnelle m�me, qui contredit encore trop souvent les principes fondateurs du droit. D�s lors, l�apprentissage de la citoyennet� ne peut pas se limiter aux questions �p�riph�riques� qui ne rel�vent pas de la mission sp�cifique de l��cole : gestion de foyers socio-�ducatifs, menus de la cantine, clubs, commissions sant�, journaux lyc�ens, etc. Certes, ces activit�s peuvent constituer des occasions non n�gligeables de formation aux responsabilit�s associatives, mais, outre le fait que les qualit�s d�initiative et de civisme ainsi d�velopp�es ne sont pas valid�es dans le cursus, ces responsabilit�s ne s�exercent pas sur ce qui fait l�essentiel du sens de la pr�sence � l��cole, c�est-�-dire les proc�dures centrales d�instruction, de construction par le sujet apprenant des savoirs et savoir-faire, leurs �valuations et validations.
L�articulation de la d�mocratie repr�sentative et de la d�mocratie participative reste � et pas seulement � l��cole ! � encore largement � inventer. L��lection de repr�sentants (d��l�ves mais aussi bien de d�put�s !) correspond trop souvent, dans les faits, � une d�mission civique. Les actions qui se multiplient de formation des d�l�gu�s de classe sont l�occasion d�exp�riences tr�s int�ressantes pour ceux qui en b�n�ficient, et elles font, du m�me coup, s�interroger sur le fait que les autres �l�ves, appel�s tous � devenir citoyens, n�en b�n�ficient pas... Bien des activit�s men�es ainsi en dehors de la sph�re d�apprentissage proprement dite pourraient �tre avantageusement r�int�gr�es dans les cours eux-m�mes. Les classes "Freinet", par exemple, ont depuis longtemps montr� l�efficacit� du journal scolaire dans l�apprentissage de la langue.
Enfin, l�apprentissage de la d�mocratie � l��cole suppose l�int�gration, dans le fonctionnement institutionnel lui-m�me, de trois exigences essentielles qui fondent la d�mocratie elle-m�me et qui sont, y compris dans les d�bats et actions politiques au niveau adulte et citoyen, tr�s souvent �oubli�es� :
� d�une part, les principes �thiques qui permettent la d�mocratie ne peuvent pas se �discuter� d�mocratiquement : l�interdit de la violence, par exemple, ne se discute pas puisqu�il est pr�cis�ment ce qui permet la discussion ; mais, d�autre part, ce principe ne saurait �tre impos� et doit faire l�objet de la d�cision libre de chaque citoyen, qui consent par l� � la libert� de l�autre ; ce qui oblige alors, � l��cole notamment mais pas seulement, � distinguer clairement, coutumes, r�gles et lois, morale et �thique, ce qui est �discutable� et ce qui ne l�est pas� ;
� d�autre part, la d�mocratie ne consiste pas en l�application m�canique de la loi de la �majorit� : elle est tout autant institution des proc�dures de protection des minorit�s ; en effet, comment une id�e neuve (et �ventuellement vraie ou juste) pourrait-elle �tre d�embl�e majoritaire ? Comment s�assurer que majorit� et v�rit� co�ncident ? Tout " r�glement " doit ainsi comporter ses propres r�gles de modification ainsi que les proc�dures qui permettent de le faire respecter �galement par tous les acteurs de l�institution ; avec cette exigence suppl�mentaire pour l��cole de distinguer, notamment dans l�application des sanctions, entre ceux, parmi ses acteurs, qui sont d�j� citoyens et ceux qui ne le sont pas encore : la violence d�un majeur est �videmment plus grave que celle d�un mineur� ;
� enfin, la caract�ristique de la d�mocratie est d��tre inachev�e et inachevable : �quilibre instable qui ne d�pend que du degr� de vertu en chaque citoyen ; lesquels citoyens ne sont eux-m�mes qu�adultes imparfaits� Peut-�tre que devenir adulte, devenir citoyen, c�est commencer � comprendre qu�on ne le sera jamais. Et donc la formation � la citoyennet� � l��cole doit pouvoir permettre d�assumer cet inach�vement in�luctable.
Il n�y a, finalement, � examiner l�ensemble des cr�ations culturelles en tant que manifestations des multiples d�sirs humains, que deux domaines qui semblent �chapper aux logiques du profit, c�est-�-dire le primat de l�int�r�t individuel au d�triment du bien commun : la v�rit�, c�est-�-dire l�approximation toujours plus fine mais inachevable entre les descriptions (linguistique ou math�matique) du r�el et le r�el lui-m�me, et le droit, c�est-�-dire la formulation toujours discutable des r�gles du vivre ensemble � partir de principes devenus eux-m�mes indiscutables.
�ducation civique ? Certes, et donc, et c�est probablement l�enjeu central de ce qui se passe aujourd�hui � l��cole, pratiques civiques, inscrites dans des r�gles de fonctionnement institutionnel, qui permettront alors que l��cole cesse d��tre une zone de non-droit permanent et puisse r�pondre au d�fi majeur de notre temps : comment vivre ensemble ? Comment, � l'�cole, apprendre � vivre ensemble ?
Bernard Defrance est professeur de philosophie au lyc�e Maurice Utrillo, Seine-St-Denis, France. Il est �galement vice-pr�sident de la section fran�aise de D�fense des enfants international (DEI). Pour consulter les pages personnelles de l�auteur : www.bernard-defrance.net
Bernard Defrance es profesor de filosof�a en el Liceo Maurice Utrillo, Seine-St-Denis, Francia. Es igualmente vice-presidente de la secci�n francesa de Defensa Ni�os Internacional (DNI). Para consultar las p�ginas personales del autor ver: www.bernard-defrance.net
Bernard Defrance is Professor of Philosophy at Maurice Utrillo Secondary School in Seine-St-Denis, France. He is also Vice-President of the French section of International Children�s Defense (DEI). To consult the author�s personal web pages: www.bernard-defrance.net
* Les sous-titres sont de la r�daction
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� CIFEDHOP 2008