Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix


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Les droits de l'homme: des repères fondateurs pour l'éducation à la citoyenneté démocratique

Par Yves Lador

Un contenu spécifique
Le fondement (1948)
Le caractère spécifique du droit international des droits de l'homme: l'action des individus
Une ambition modeste
Une démarche en mouvement

Connaître les droits
Droits de l'homme et éducation
Le droit à l'éducation
L'éducation aux droits de l'homme: une composante de l'éducation
Principes et valeurs

Dignité, liberté, réciprocité, sécurité de la personne, respect

Règles explicites, existence de recours
Climat démocratique, participation, accès à l'information, liberté d'expression

 

I. Introduction

L’éducation civique ayant, sous le feu de la critique, perdu de son charme, l’éducation à la citoyenneté a pris le relais. Pour les pédagogues, il ne s’agit pas que d’un changement cosmétique. L’éducation à la citoyenneté démocratique doit permettre à l’élève ou à l’étudiant de devenir un citoyen actif et non pas de capter passivement un message auquel il n’adhère pas. Toutefois, dans les brassages que vivent toutes les sociétés, les élèves sentent-il toujours pouvoir faire partie de la société dans laquelle les enseignants voudraient les engager ? Quelle place leur est vraiment faite? Quels liens peuvent-ils entretenir avec des institutions qui leur paraissent souvent étrangères ?

La référence aux droits de l’homme devient précieuse dans un tel contexte, voire centrale pour une éducation à la citoyenneté démocratique. Indépendamment de son origine, toute personne est un sujet de droit. Cette qualité est commune à tous les élèves ou à tous les étudiants d’une classe, d'une école. Les droits fondamentaux que tout État reconnait à toute personne sous sa juridiction est le point de départ le plus rassembleur et le plus motivant pour établir la relation entre l’individu et les institutions.

Toutefois, si les droits de l’homme permettent de fonder une éducation à la citoyenneté démocratique, leur enseignement ne couvre pas tout le champ de cette éducation. Inversement, l’éducation aux droits de l’homme a ses exigences et ne peut être utilisée à n’importe quelles fins.

II. Le cadre de références

Le terme de droits de l'homme n'est pas une appellation générique sous couvert de laquelle toute pratique innovatrice pourrait trouver refuge. Les droits de l'homme font appel à la notion de droits, aux fondements du droit. Ils ont un contenu précis, qui fait référence à un corpus national et international de notions codifiées dans des lois nationales et des traités internationaux. De plus, ils supposent l'existence d'un État de droit. Dans toute éducation aux droits de l'homme, ces éléments doivent être pris en considération. Ce sont eux qui donnent sens et spécificité à cette éducation.

Un contenu spécifique

Selon certains auteurs, les racines des droits de l'homme remonteraient à l'histoire très ancienne. Ce serait en effet dans le code d'Hammourabi, roi de Babylone(env. 1792-1750 av. J.-C.), que l'on en retrouverait les premières traces. Ce recueil de lois gravées en écriture cunéiforme codifiait la jurisprudence aux temps du monarche. Mais c'est surtout aux traces laissées par les débats philosophiques et les mouvements politiques qui ont agité l'Occident lors des grandes crises de son histoire moderne que l'on se rattache: guerres de religions, débats sur la liberté de conscience, révolutions anglaise, américaine, française, Pour ne nommer que celles-là.(1).

Cependant, il est essentiel de souligner que, pour la période actuelle, la protection internationale des droits de l'homme prend sa source à la fin de la Deuxième guerre mondiale, lors de la réorganisation du monde par les Nations victorieuses, désireuses de rendre impossible un retour aux horreurs que le monde venait de subir. Les premiers pas furent franchis lors des procès de Nüremberg et de Tokyo, qui introduisirent la notion de "crimes contre l'humanité"(2) pour qualifier l'ampleur des atrocités qui se devaient d'être sanctionnées. Ces travaux eurent beaucoup d'importance. Mais ils étaient avant tout destinés à clore le chapitre de la guerre et à punir les responsables vaincus sans toutefois fonder le nouveau droit international.

Le fondement:1948

C'est dans le processus de création d'une organisation mondiale nouvelle garantissant la paix et la prospérité des Nations que la question de la garantie des droits et libertés fondamentales se posa(3). On y vit même, un moment, l'intention d'intégrer une telle déclaration dans la Charte fondatrice des Nations Unies. C'est ainsi que sept mentions concernant les droits de l'homme se retrouvent dans cette dernière. Elles fourniront les bases de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), tâche à laquelle s'empressera de s'employer la nouvelle Commission des droits de l'homme. La volonté des rédacteurs fut de formuler, dans un texte fondateur, les droits fondamentaux de tout être humain et qu'aucun pouvoir ne serait légitimé à bafouer. Plusieurs formules furent envisagées: déclaration, convention, procédures de protections, etc. C'est celle de la déclaration qui fut privilégiée, car elle permettait une proclamation plus rapide et plus générale. Le travail d'inscription de ces droits dans un texte de loi internationale de même que l'élaboration de procédures de garantie seront remis à plus tard.

La Déclaration universelle des droits de l'homme sera adoptée dans la soirée du 10 décembre 1948. Elle aura un impact bien plus important que ses initiateurs ne l'avaient escompté. Ce texte est le fondement de tout le droit international des droits de l'homme qui s'est développé depuis lors.

Le caractère spécifique du droit international des droits de l'homme: l'action des individus

L'Europe fut très active dans la rédaction de la Déclaration universelle. Dans ses élans de reconstruction du continent elle voulut, par ailleurs, dépasser le stade de la simple proclamation des droits fondamentaux de l'homme. Les pays européens occidentaux voulaient offrir aux personnes relevant de leur juridiction des garanties précises, avec des voies de recours, selon la conception qu'un droit n'existe pleinement que si les conditions de son application existent aussi.

Le Conseil de l'Europe, fondé en 1949, s'attela à une tâche un peu différente de celle des Nations Unies. Celle-ci consista en un recensement des droits fondamentaux au sujet desquels un consensus pouvait exister parmi ses membres quant à leur justiciabilité, c'est-à-dire la possibilité de les faire valoir devant un tribunal. Le rapporteur de la commission des questions juridiques du Conseil, le professeur Pierre-Henri Teitgen, mentionnait à ce propos, dans son rapport présenté le 5 septembre 1949, que "La Commission a estimé que seuls pouvaient être garantis, dans le présent, les droits essentiels et les libertés fondamentales qui sont aujourd'hui, définis et consacrés, après une longue expérience, par tous les régimes démocratiques". L'auteur ajouta que "Ces droits et ces libertés constituent le dénominateur commun de nos institutions politiques, la première conquête de la démocratie, mais aussi la condition de son fonctionnement. C'est pourquoi ils doivent faire l'objet de la garantie collective."(4)

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) sera adoptée à Rome, le 4 novembre 1950. Plutôt restrictive dans la liste des droits qu'elle garantit -si on la compare à la Déclaration universelle, dont elle se réclame dans son Préambule- elle comportera cependant pour ceux-ci un important mécanisme de protection grâce à la création d'une Commission et d'une Cour européennes des droits de l'homme dont le siège sera établi à Strasbourg.

Bien que le texte de cette Convention ne s'applique qu'à une catégorie de droits - civils et politiques- et que sa portée ne soit que régionale -l'Europe occidentale-, il n'en présente pas moins deux innovations très importantes. Premièrement, la Convention a une force juridique obligatoire pour les États qui le ratifient. Ceux-ci peuvent alors volontairement reconnaître l’autorité de la Cour, ainsi que le droit de ses propres ressortissants à porter plainte contre eux. C'est une forme de "loi internationale" pour les États, qui va ainsi beaucoup plus loin qu'une simple déclaration. En second lieu, cette Convention marque l'entrée des individus comme acteurs en droit international puisqu'elle est dotée d'un mécanisme de contrôle de la mise en oeuvre des droits par une Commission et une Cour européennes des droits de l'homme. Étant donné que le droit international n’est constitué que d’accords volontaires entre États souverains, on peut comprendre que le fait de permettre une action des individus, pouvant aller à l'encontre de leur propre État, constitue une véritable innovation. Cette avancée majeure n’est en effet possible qu'en vertu de la limitation partielle de la souveraineté de l’État. Il s'agit d'un enjeu crucial eu égard à la protection internationale des droits de l'homme.

La création d’une instance au-dessus des États pour juger de violations des droits de l'homme sera imitée par d'autres organisations intergouvernentales régionales, avec différents mécanismes de plainte pour les individus. En 1969, l’Organisation des États Américains (OÉA) créa une Commission et une Cour interaméricaines des droits de l'homme. Et l'établissement d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples est en discussion au sein de l’Organisation de l'unité africaine (O.U.A.). Elle compléterait le mécanisme existant de la Commission africaine, établie en 1986.

L’ONU développera également des procédures d'examens d'allégations de violations des droits de l'homme par le truchement de sa Commission des droits de l'homme. Mais cet organe est formé par les représentants des États et reste un lieu de débats politiques. Par contre, au nombre des conventions qui viendront donner force de loi aux principes de la Déclaration universelle, six d'entre elles institueront un Comité d'experts, dit "Comité conventionnel", chargé de la surveillance de leur application. Trois de ces Comités, dont ceux relatifs au Pacte relatif aux droits civils et politiques, à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, peuvent recevoir, sous certaines conditions, des plaintes de victimes de violations.

En résumé, le mouvement historique de protection internationale des droits de l'homme qui s'est affirmé à la sortie de la Deuxième guerre mondiale présente les caractéristiques suivantes: a) Affirmation des droits et libertés fondamentaux des êtres humains, droits inaliénables liés à leur nature humaine. Il faut "dire le droit", le proclamer dans un instrument commun à tous les États, pour empêcher un retour aux barbaries; b) Élaboration de mécanismes permettant à la "communauté internationale des États" de garantir effectivement le respect de ces droits, si de telles garanties venaient à manquer au niveau national. C'est l'établissement des Comités conventionnels et des Commissions et Cours de droits de l'homme au sein des Organisations intergouvernementales régionales (Conseil de l'Europe, OÉA, O.U.A.); c) Développement de ces droits et renforcement des mécanismes de protection, afin de suivre l'évolution des sociétés. De nombreuses conventions sont complétées par des protocoles et les mécanismes de contrôle des mise en oeuvre sont revus pour être perfectionnés.

 

Une ambition modeste

En observant ce processus d'affirmation des droits de l'homme, qui a pris son essor avec la Déclaration universelle de 1948, nous pouvons constater que ce mouvement est plus modeste que celui, par exemple, des Déclarations américaine de 1776 et française de 1789, qui se donnaient, quant à elles, l' objectif plus ambitieux de réformer complètement la société, voire les individus.

Dans le cadre contemporain, il s'agit surtout de protéger l'individu contre les atteintes qu'il pourrait subir de la part du pouvoir étatique et de lui garantir des conditions d'existence dignes.Il convient à cet égard de souligner que cette dernière intention fait toujours l'objet de vives discussions quant à sa définition et à sa traduction dans le droit et dans les faits.

Ce que les textes du droit international des droits de l'homme veulent réaffirmer, c'est simplement l'existence de droits fondamentaux. Ce faisant, ils se concentrent sur le lien entre l'individu et les autorités, sur la légitimité des actions de ces dernières et sur les conditions de coexistence entre individus égaux en droits. Ils n'ont pas l'ambition d'aller plus loin. Au delà de l'égalité de respect de chaque personne, en dignité et en droit, les droits de l'homme ne forment pas un système philosophique, religieux, politique, social ou culturel fermé. Au contraire, ils s'ouvrent à la coexistence d'une pluralité de pensées, de croyances, de cultures, de pratiques, d'organisations sociales, pour ne nommer qu'elles.

Une démarche en mouvement

La notion de droits fondamentaux fait directement référence à la philosophie du droit naturel, inspirée de l'humanisme européen. L'être humain a des droits inaliénables, inhérents à sa nature et indépendants du bon vouloir d'une autorité. Ainsi, le fait de porter atteinte à ces droits n'est pas légitimement fondé. Dans cet esprit, le pouvoir doit ainsi se justifier s'il veut restreindre de tels droits. Cette réflexion sur la nature de l'homme et la nature du politique a été développée, de confrontations en conflits, au cours des derniers siècles. Il en a émergé ce que l'on convient d'appeler les démocraties modernes. Le débat n'est pas clos pour autant. La définition des droits naturels des êtres humain reste ouverte, sujette à l'apparition de nouvelles situations, de nouvelles menaces sur la vie des gens, à de nouvelles revendications. Le droit international des droits de l'homme est, en quelques sortes, la partie de ces droits naturels sur laquelle les États ont pu s'accorder pour les traduire en droit positif, c'est-à-dire en droit qui établissent des principes communs et pouvant aller jusqu'à une application par une juridiction internationale effective.

Les textes juridiques contemporains de protection des droits de l'homme formulent donc un certain nombre de ces notions philosophies en un droit positif, pour les traduire dans la réalité, notions qui peuvent cependant être issues de courants de pensées divergents. L’établissement de ces droits découle d’un état de la question, tranché par des autorités souveraines et représentatives, sur la base d'un consensus.

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