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Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix


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Le �vivre-ensemble� � l��cole secondaire : essai d�analyse

par V�ronique Truchot


I. La culture de la parole

L�exp�rience de la prise de parole rev�t une importance particuli�re dans le processus d'apprentissage de la citoyennet�. Si l'on convient que l'�cole doit servir de levier � l'�mergence d'une soci�t� d�mocratique, il devient clair qu'� sa mission d'instruire, vient tout naturellement s'ajouter celle de socialiser. Cet apprentissage passe par une pratique de la participation dans cette micro-soci�t� qu'est l'�cole, laquelle devient un milieu de vie stimulant qui incite � la prise d'initiative o� chacun peut d�velopper sa cr�ativit� et cultiver son esprit critique. La formation de citoyennes et de citoyens actifs et responsables, conscients d'appartenir � la �communaut� humaine� est un long processus au cours duquel interviennent plusieurs �l�ments. Au nombre de ceux-ci notons : la place et le pouvoir accord�s � la parole des �l�ves qui doivent pouvoir l'utiliser entre pairs en vue d'�laborer une r�flexion collective. Pour que cette d�marche exigeante devienne objet d'apprentissage, elle doit rev�tir un sens pour eux.

C'est �galement sous cet angle qu'est envisag�e la mission de l'�cole dans la Convention relative aux droits de l'enfant (1989, article 29#D) : �Pr�parer l'enfant � assumer les responsabilit�s de la vie dans une soci�t� libre, dans un esprit de compr�hension, de paix, de tol�rance, d'�galit� entre les sexes et d'amiti� entre tous les peuples...� (voir aussi le Pacte international relatif aux droits civils et politiques). Personne n'�tant contre la vertu, qui pourrait s'inscrire en faux face � des intentions aussi louables? Cependant, on peut s'interroger avec Cl�mence et al. (1995) sur le sens donn� par chacun � ces notions de libert�, de compr�hension, de paix, de tol�rance, d'�galit� et d'amiti�.

L'apprentissage du �vivre-ensemble� commence par la rencontre de l'Autre et la possibilit� de dialogue. Symbole de manifestation de l'intelligence dans le langage (Dictionnaire des symboles, p.582), la parole est � la base de la vie en soci�t�. L'importance que nous y accordons se fonde tant sur la th�orie piag�tienne relative � la construction du social chez l'enfant que sur des bases �thiques.

Pour moi, [nous dit Azzimonti] cette possibilit� d'avoir d'abord un lieu d'�coute et un lieu de parole, orale ou �crite, est fondamentale. Lieu de respect et d'accueil de l'autre tel qu'il est, o� chacun puisse s'exprimer, sortir de sa solitude et �changer sur ce qui lui tient � c�ur, ce qui le r�jouit, ce qui l'inqui�te. Pour quelqu'un, �tre �cout�, avoir vu des personnes un groupe s'int�resser � lui, c'est se sentir reconnu, c'est exister. C'est ainsi qu'il peut, petit � petit, se sentir �concern� �galement par les questions des autres. (1996, p. 181).

Selon la Commission (fran�aise) de r�flexion sur l'�cole, �S'exprimer, questionner, communiquer, argumenter sont les outils indispensables de tout apprentissage scolaire et de toute vie sociale [...] savoir lire, savoir �crire et d'abord savoir parler sont la premi�re famille des savoirs fondamentaux.� (Fauroux, R., 1996, p.61).

Pour les sociologues interactionnistes (Mead, 1971 ; Crozier, 1977), la formation de soi se fait � travers les interactions avec la communaut�. Ces interactions, qui passent par la parole, les gestes, les symboles, permettent � l'individu d'int�rioriser des normes, mais �galement de participer � l'autor�gulation de la communaut�. Autrement dit, l'individu ne peut construire sa personnalit� qu'� travers les �changes avec une communaut� d�appartenance dont il a int�rioris� les valeurs, les codes ; en retour, cette communaut� est le produit des interactions entre ses membres. De ce point de vue, le comportement humain n'est pas une simple adaptation � l'environnement, mais un processus interactif de construction de ce m�me environnement. Cela est exprim� par la formule de W.I. Thomas : �Si les hommes d�finissent des situations comme r�elles, elles sont r�elles dans leurs cons�quences.� (Dictionnaire de la sociologie, p.126). Une institution, par exemple, est la r�ponse commune apport�e par les membres d'une communaut� � une situation particuli�re. Cela suppose une communaut� d'interpr�tation des signes, la construction d'un �moi individuel� par le jugement des autres et le primat de l'action dans la connaissance. On doit donc porter une attention particuli�re � la pratique quotidienne de ces interactions.

Sur le plan philosophique, la parole a toute son importance si l'on se r�f�re � des auteurs tels que Habermas (1981, 1986), Kohlberg (1972), Ferry (1995), Reboul (1971), pour qui l'exp�rience de la communication entre humains et avec le monde est le point d'ancrage de tout apprentissage devant participer � la construction d'un r�f�rentiel �thique. Cette exp�rience communicationnelle, de laquelle Habermas a tir� une th�orie, passe notamment par la prise de parole. Mais communiquer, c'est aussi comprendre et �comprendre ce qui est dit exige la participation et non simplement l'observation� (Habermas, 1986, p. 48). Il est ici question d�une �thique de la discussion qui engage chacun et chacune dans un processus d��coute active, ce qui suppose qu'il existe un espace o� cette parole peut s'exprimer et o� elle est �cout�e.

L'exp�rience de la communication est �galement fondamentale d'un point de vue psychologique. D�s qu'il vient au monde, le petit d'homme lance des appels indiff�renci�s vers l'ext�rieur. Les r�ponses, quand elles sont apport�es, permettront progressivement � l'enfant de se diff�rencier du monde qui l'entoure. C'est dans l'exp�rience de l'interaction que, par ajustements successifs, se s�mantisent les gestes et les expressions et que, progressivement, �merge la conscience. La conscience de soi ne peut donc qu'�tre g�n�r�e par une communication.

Que ce soit d'un point de vue philosophique, psychologique ou sociologique, la parole -ou toute forme d'expression qui permet de communiquer- est primordiale dans le d�veloppement tant personnel que social de l'enfant et de la personne, au sens large. Cette pr�occupation d'instituer des �espaces de parole� rejoint celle des d�fenseurs d'une �cole d�mocratique (Dewey, 1968 ; Mendel, 1971 ; Rueff-Escoub�s et Moreau, 1987 ; Mougniotte, 1994 ; Meirieu, 1997), pour qui la mission premi�re de l'institution scolaire est de contribuer � l'av�nement d'une soci�t� d�mocratique (juste, libre et responsable). On peut toutefois se demander comment �duquer d�mocratiquement � la d�mocratie? Sans r�pondre ici � cette question complexe, il convient de rappeler, m�me si cela peut para�tre une �vidence, que sans droit de parole, il ne peut y avoir de d�mocratie, laquelle a, pour certains auteurs (Piaget, 1957 ; Glasersfeld, 1991 ; Morf, 1984), ses assises dans l'action. Si l'on consid�re la prise de parole comme une action en soi, nous rejoignons ces auteurs pour qui la participation active est une composante essentielle de la d�mocratie.

Pour les tenants de l'�ducation nouvelle, la communication est le moyen privil�gi� de construction de l'identit� et du lien social : �Se confronter � l'objectivit� d'une norme donne forme � la parole et l'objectivit� en fait une parole susceptible d'�tre partag�e et de devenir un bien commun. Une parole �adress�e�, en tant que telle, fait advenir le sujet � lui-m�me parce qu'elle l'inscrit dans son rapport � l'autre� (Grataloup, 1996, p. 98). Si l'on s'accorde sur l'importance du dialogue et de l'�change dans le d�veloppement du jugement socio-moral de l'enfant, il reste � se demander comment, du point de vue p�dagogique, il est possible de mettre en place des �dispositifs� qui favorisent l'�mergence de cette parole et sa r�gulation : �Il faut en particulier que l'�cole fasse dialoguer les �l�ves, leur apprenne � argumenter l'un contre l'autre en analysant le discours de l'Autre, � la fois pour apprendre � manier la langue nationale et pour �tre capable de percevoir l'Autre, ce qui est la condition d'une vie en commun.� (Touraine, 1997, p.341).


II. Grille de lecture

2.1 Les consid�rations p�dagogiques

La pr�occupation pour l'�cole de viser la formation de citoyens actifs et responsables, s'inscrit dans le courant de l'�cole nouvelle qui s'est d�velopp� d�s la premi�re partie du XXe si�cle. Ce mouvement p�dagogique privil�gie des approches qui mettent l'accent sur la construction du savoir par �l'enseign�-acteur� ; il interroge les modes de transmission qui cantonnent l��l�ve dans un r�le passif o� il �re�oit� des savoirs �labor�s, construits par d�autres, et limitent l�entreprise �ducative � une �correction de l��cart entre ce que l��l�ve sait et ce qu�il devrait savoir� : l�enseignement traditionnel. Le b�haviorisme (comportementalisme), qui prolonge en quelque sorte le courant de l�enseignement traditionnel, s�int�resse essentiellement aux comportements d�apprentissage observables. Dans les deux cas, l�apprentissage demeure externe � l��l�ve. D�tenteur du savoir � transmettre ou �ing�nieur du comportement�, l�enseignant reste �l�expert� et l��l�ve le sujet � modeler. Pour notre part, nous pensons que les approches qui consid�rent l��l�ve comme un acteur � part enti�re sont plus propices � favoriser des valeurs bas�es sur l�autonomie le sens de l�initiative de m�me qu�� contribuer au d�veloppement et au plein �panouissement de la personnalit� de l�enfant et � son int�gration dans une soci�t� libre et d�mocratique.

Les propos des �l�ves montr�alais, �g�s de 15 � 18 ans, que nous avons interview�s pour �tayer les bases d'une analyse contextuelle, laissent � penser que les approches privil�gi�es dans les �coles qu'ils fr�quentent s'inspirent moins du courant de l'�cole nouvelle que des deux autres courants :

-�T'es � longueur de journ�e comme �a, � ton pupitre, pis t'�coutes qu'est-ce qu'ils disent. T'�coutes qu'est-ce qu'ils disent, mais � un moment donn�, tu vas te tanner, t'sais?�

-�(...) y�avait un prof qui nous faisait faire en g�o des r�sum�s-synth�ses qui ne servaient absolument � rien. On copiait ce qui y�avait dans le livre sur une feuille, pis apr�s �a, on ne l�utilisait m�me pas pour �tudier, on prenait le livre, pis �a nous prenait deux trois heures par soir, c��tait plate.�

-�D�s que tu rentres � l'�cole, ils font rentrer tous les �l�ves classe par classe dans un auditorium, pis le directeur parle du haut de la tribune, pis y nous montre le r�glement, pis c'est tout, tu ne poses pas de question.�

-�Pour le directeur et pour les professeurs, on est des moutons, et ils doivent nous apprendre � marcher l'un derri�re l'autre. C'est comme �a qu'ils voient.�

-�Ben eux, ils sont profs, d�j�, tout ce qu�ils disent, tu dois �tre d�accord avec. [...] Pis eux autres, c�est les �big boss�. Alors tu ne peux rien faire, t�es un p�tit �l�ve, t�es un �l�ve, l� juste un �l�ve. Tu t�assois, tu les �coutes parler... pis c�est tout.�

La participation jouant un r�le pr�dominant dans l'exercice d'une citoyennet� responsable, nous avons cherch� � comprendre la fa�on dont les r�pondants con�oivent leur participation � la vie de l'�cole. La lecture du corpus laisse appara�tre trois �cat�gories� d'�l�ves : ceux qui participent aux activit�s propos�es par les responsables de la vie �tudiante : �participation passive� (PP) ; ceux qui ne participent pas : �absence de participation� (AP) ; enfin, ceux qui s'impliquent dans la structure officielle de participation : le conseil �tudiant, en vue d'apporter des changements � l'�cole : �participation critique� (PC).

Les �l�ves de la premi�re cat�gorie �participation passive� (PP), qui participent volontiers aux activit�s organis�es chaque ann�e par l'�cole (comit�s pour le bal des finissants, pour le gala M�ritas, rencontres sportives), n'ont cependant aucun lien avec le conseil �tudiant et, dans certains cas, ignorent m�me s'il y en a un. Il s'agit de jeunes qui disent se sentir �cout�s � l'�cole. On constate, par ailleurs, que ces �l�ves n'ont pas de demande particuli�re � adresser � l'�cole.

Les �l�ves de la deuxi�me cat�gorie �absence de participation� (AP), qui disent ne pas �tre int�ress�s � participer � des activit�s parascolaires, consid�rent ne pas avoir de libert� d'expression � l'�cole et semblent avoir eu plusieurs diff�rends avec l'administration scolaire. Ces jeunes manifestent tout au long de l'interview une certaine ranc�ur, voire m�me un sentiment de r�volte face � l'�cole.

La troisi�me cat�gorie �participation critique� (PC) regroupe ceux des �l�ves interrog�s dont la participation active les a conduits � se pr�senter aux �lections du conseil �tudiant. Ces �l�ves, qui ne se sentent pas consult�s par les adultes de l'�cole sur les d�cisions, n'en d�montrent pas moins un enthousiasme �vident pour s'impliquer dans la vie scolaire ; m�me si, pour ce faire, ils doivent �lutter� :

-�La direction ne s�en pr�occupait pas du tout, ne voulait m�me pas organiser de conseil �tudiant, organiser des �lections cette ann�e. �a fait qu�on s�est ramass�s dans un groupe d��l�ves, un groupe d�amis, on a fait des pressions aupr�s de la direction [pour monter un conseil �tudiant] [...] On est all� voir tous les adjoints, pis on disait : ��a prend des �lections, �a marche pas, on va aller m�me � la CECM (Commission scolaire) s'il faut, on a le droit d�avoir un conseil �tudiant, on a le droit de s�exprimer par le biais d�un conseil �tudiant� ; ben, on a r�ussi � organiser des �lections. L��cole �tait oblig�e d�accepter en quelque sorte, ne pouvait pas dire non! Ils contrevenaient un petit peu aux principes de la CECM. Mais, ce qui est important � retenir, � mon avis, de cette exp�rience que j�ai eu, c�est le fait que c�est les �tudiants qui �taient oblig�s de rappeler � l��cole qu�elle devait respecter les �l�ves.�

Si, � l'instar de ceux qui refusent de participer, les propos de ces �l�ves de la cat�gorie �participation critique� (PC) sont �maill�s de revendications, la nature de celles-ci diff�re, par ailleurs, de celles exprim�es par le groupe qui ne participe pas (AP). Les demandes adress�es par les �l�ves de la cat�gorie (PC) concernent essentiellement les services et supports aux �l�ves : biblioth�caire, budget pour un programme d'aide aux devoirs, m�canismes de recours pour les �l�ves en cas de non respect de leurs droits ; reconnaissance officielle du conseil �tudiant ; abolition des r�gles qui n'ont �aucune esp�ce de rapport avec les r�sultats scolaires� ; suppression de la censure quand il s'agit d'aborder des probl�matiques que vivent les jeunes : drogue, violence. Tandis que les dol�ances de ceux qui ne participent pas sont plus de l'ordre du relationnel (�coute, compr�hension, complicit�).

Cette analyse nous ram�ne aux objectifs de cette recherche qui �taient, d'une part, d'explorer les repr�sentations qu'ont les adolescents de leur libert� d'expression � l'�cole ; d'autre part, de voir dans quelle mesure celles-ci influencent leur participation. Ce niveau de lecture des donn�es laisse entrevoir un certain nombre de liens dont il pourrait �tre int�ressant de v�rifier le degr� de corr�lation. Cette analyse, nous conduit � observer que les trois cat�gories que nous avons propos�es pour traiter de la participation (PP, AP, PC) regroupent des �l�ves qui partagent d'autres caract�ristiques :
(PP) Les �l�ves qui �participent passivement� sont �galement ceux qui :
- se sentent �cout�s � l'�cole ;
- disent ne pas �tre �cout�s par l'un des parents ;
- n'ont pas de demande particuli�re � adresser � l'�cole.

(AP) Les �l�ves qui ne �participent pas� sont �galement ceux qui :
- ne se sentent pas �cout�s � l'�cole ;
- ont eu des diff�rends avec la direction ;
- ont des demandes de type relationnel (�coute, compr�hension) � adresser � l'�cole.

(PP) les �l�ves qui �participent activement� sont �galement ceux qui :
- ne se sentent pas �cout�s � l'�cole ;
- ont des revendications concernant l'int�r�t commun des �l�ves ;
- s'expriment de la fa�on la plus articul�e.

Les �l�ves des cat�gories (PP) et (AP) semblent correspondre aux descriptions que fait Defrance (1988, p.48) des attitudes et comportements que peut induire �l'autoritarisme institutionnel� :

(...) d'un c�t� ceux qui, parmi les �l�ves et les professeurs, acceptent cette situation avec passivit�, se conforment � cet ordre sacralis�, et de l'autre, ceux qui le refusent. Et, pour les �l�ves, ces refus de la docilit� impos�e, peuvent prendre des formes extr�mement diverses : qu'il s'agisse de s'enfermer dans �l'absence� (dans la lune!) et les r�veries, ou de se livrer � l'agitation, � l'agressivit�, aux d�foulements anomique, il s'agit toujours de la revendication du �vivant� et de l'imagination contre l'ordre immobile de la r�p�tition m�canique.

On peut �galement �tablir un lien entre les cat�gories propos�es les perspectives �ducatives, telles que pr�sent�es par Fran�oise Lorcerie, pour l'apprentissage du �vivre-ensemble�(1). L'auteure envisage cet apprentissage de trois points de vue correspondant � trois perspectives qu'elle qualifie de : gradualiste, non gradualiste et socio-politique.

Du point de vue gradualiste, l'�l�ve est consid�r� comme n'�tant �pas encore� autonome et responsable de ses actes, comme n'ayant pas encore une existence, des capacit�s sociales et des droits et obligations � cet �gard. L'apprentissage du �vivre-ensemble� se fait pour plus tard. Selon cette repr�sentation de la formation scolaire, la relation p�dagogique n'est pas pens�e comme probl�matique : �on attend de l'�l�ve qu'il adopte la conduite qui convient : concentration volontaire, docilit� � l'�gard des r�gles fix�es par l'�cole et sp�cifi�es par l'enseignant.� L'enseignement est centr� sur des contenus �num�r�s et ne prend g�n�ralement pas en compte les dispositions morales et sociales qui servent de base au �vivre-ensemble�. Cette perspective rejoint les p�dagogies dites �traditionnelles�.

Les propos des �l�ves interrog�s semblent indiquer que cette perspective est la plus couramment emprunt�e par l'institution scolaire, m�me si tous n'y r�agissent pas de la m�me mani�re. Ainsi les sujets que nous avons plac�s dans la cat�gorie �participation passive� semblent trouver tout naturel, qu'en tant que jeunes, ils doivent se soumettre aux d�cisions des adultes. Les �l�ves des deux autres cat�gories, se consid�rent, quant � eux, assez m�rs pour participer aux d�cisions :

-�(...) on est compris quand m�me assez, mais t'sais, on ne peut pas dire les r�glements, t'sais, c'est eux qui doivent d�cider des r�glements.�

-�(...) la direction pis le conseil de parents disent : ah, c�est des �tudiants donc, ils ont pas un assez bon jugement, pis c�est quand m�me des jeunes donc, ils sont moins matures et ainsi de suite, donc ils ne peuvent rien d�cider.�

-�l�AGE (Association g�n�rale des �tudiants) n�est m�me pas consult�e, rien, pis nous autres on a beaucoup plus d�id�es, heu...Pis on ne peut m�me pas les dire.�

Les revendications exprim�es par les �l�ves des cat�gorie �participation critique� et �absence de participation� rejoignent la perspective �non gradualiste� : m�me si l'�l�ve n'est pas encore un adulte, il est titulaire de droits, est capable de juger du bien et du mal. De ce point de vue, quel que soit son �ge, l'�l�ve est �un �tre social et moral, engag� dans des liens avec autrui, porteur d'un sentiment de son int�r�t et responsable de ses actes�, de telle sorte que l'�ducation au �vivre-ensemble� se joue au pr�sent et dans la continuit� (Lorcerie, p. 91). On se pr�occupera, d�s lors, d'exercer au pr�sent les attitudes et fa�ons d'�tre ensemble qui sont � la base du �vivre-ensemble�.

-�(...) notre choix, c'est nous qui, t'sais, on sait quoi faire, nous, dans notre vie. Ben si notre choix, c'est �a � �a va toujours rester, m�me si tout le monde nous en emp�che. Si tu veux vraiment faire �a, t'sais, tu vas l'faire.�

-�Ben, c'est comme moi, je me souviens, j'�tais � l'�cole secondaire, j�avais fait un g�chis, c'�tait moi, j'�tais responsable de mon affaire, c'�tait � moi de prendre une d�cision, pis de dire, de m'excuser. Ben, j�suis all� m'excuser, pis ils ne m'ont pas �cout�. Ils ne m'ont pas �cout�, ils disaient qu'ils voulaient parler avec mes parents seulement, c'est �a.�

La troisi�me perspective, que Lorcerie (1999) qualifie de socio-politique, concerne l'association des familles et autres partenaires � l'�cole. Bien que cette question n'ait pas �t� abord�e directement lors des interviews, il nous semble important de mentionner ce point de vue dans la mesure o�, �la consid�ration que les �coles accordent aux parents n'est pas ind�pendante de celle qu'elles accordent � leurs �l�ves, et r�ciproquement� (Lorcerie, 1999, p.86). � cet �gard, les travaux qui portent sur la relation entre l'�cole et les familles mettent en �vidence la difficile collaboration (2). Il est � noter que ces travaux s'int�ressent essentiellement � l'impact de la participation des parents sur la r�ussite scolaire des �l�ves et n'�tablissent pas de parall�le entre la participation des �l�ves et celle des parents. Dans l'optique de l'apprentissage du �vivre ensemble�, il nous semble qu'il pourrait �tre utile d'approfondir cette question.

Dans plusieurs cas, les �l�ves se plaignent d'une approche �autoritaire� qui s'apparente � la perspective non gradualiste, tandis que les attentes qu'ils expriment se rapprochent de la perspective gradualiste voire m�me de la perspective socio-politique dans le cas des sujets qui participent activement.


2.2 Les consid�rations psychosociales

Des points de vue psychologique, sociologique et psychanalytique, on peut penser que l'autorit� est n�cessaire aux enfants et que l'absence d'autorit� les installe dans l'anxi�t� (3). En effet, sur le plan de la socialisation, l'autorit� semble requise : pour apprendre � vivre en soci�t�, il est n�cessaire de respecter des r�gles qui contribuent au respect de la libert� des uns et des autres. Encore faut-il s'entendre sur ce qu'on entend par autorit�. L'autorit� peut �tre vue comme le pouvoir de se faire ob�ir, sans contrainte et dans la pleine reconnaissance r�ciproque, mais aussi comme un abus de pouvoir. C'est dans ce deuxi�me sens que Jean Houssaye (1996) emploie de terme d'autorit�. Partant de plusieurs travaux de psychologie sociale, cet auteur montre qu�un style de gestion moins autoritaire favorise les attitudes constructives � l��cole. Pour lui, la relation d'autorit� exclut la construction d'un v�ritable rapport � l'autre et �faire l��cole� consiste � s�en d�barrasser.

De l�autoritarisme aux pratiques centr�es sur la mobilisation des groupes en passant par la p�dagogie institutionnelle (4), la question de l�autorit� renvoie aux nombreux d�bats qui ont entour� la question de la directivit� et de la non-directivit� depuis les ann�es 40. Une exp�rience r�alis�e en 1939 par Lewin, Lippitt et White (5) aupr�s de trois groupes de jeunes soumis � trois styles d'animation diff�rents : �autoritaire�, �d�mocratique� et �laisser-faire�, d�montre que le style �d�mocratique� est plus formateur (6).

Pain et B�ranger (1997), qui tentent de voir dans quelles conditions l'exercice de l'autorit� favorise effectivement l'apprentissage et la socialisation de l'enfant, proposent une �chelle de 7 mod�les d'autorit� allant d'un registre d'attitudes r�pressives � pr�ventives : l'�autoritaire strict� (7), l'�autoritaire charismatique� (8), l'�autoritaire tyrannique� (9), l'�autoritaire indulgent� (10), le �p�dagogue� (11), le �d�mocrate� (12) et le �coop�rateur�(13). Les r�sultats de cette recherche laissent appara�tre que les mod�les qui ont recours � des p�dagogies inspir�es de l'�cole nouvelle (le p�dagogue, le d�mocrate et le coop�rateur), favorisent la socialisation des �l�ves et permettent de d�velopper leur autonomie. Ces mod�les d'autorit� sont �galement ceux qui laissent le plus de place � l'institution de la r�gle, une r�gle explicit�e et discut�e. Une autre recherche (14) fait appara�tre que les meilleures strat�gies des enseignants face � la violence en classe et � l'�cole sont celles de praticiens rompus � la r�gle et � la loi, � la parole en commun.

Si l'on tente d'�tablir des liens entre ces mod�les et les perspectives �ducatives propos�es par Lorcerie, �l'autoritaire strict�, �l'autoritaire charismatique� et �l'autoritaire tyrannique� s'apparenteraient � une perspective gradualiste ; tandis que �l'autoritaire indulgent�, �le p�dagogue� et �le coop�rateur� se rapprochent de la conception non gradualiste ; �le d�mocrate�, quant � lui, correspondrait davantage au point de vue socio-politique.

Il semblerait, que globalement, les �l�ves que nous avons interview�s sont plus familiers avec des approches de type autoritaire qui s'apparentent � ce que Freinet qualifiait de �p�dagogie de l'escalier�. Tous disent, en effet, que les r�gles ne sont pas discutables dans leur �cole. Leurs propos refl�tent d'une certaine mani�re les r�sultats d'une enqu�te (15) r�alis�e par le minist�re de l'�ducation � propos de l'opinion des �l�ves sur le climat g�n�ral de leur �cole. Cette �tude r�v�le que de 86% des r�pondants (16) expriment leur d�sir d'�tre consult�s sur les d�cisions qui les concernent (p. 27) ; ce qui indique qu'ils ne le sont pas. Cette imposition des r�gles favorise-t-elle la formation citoyenne? S'il faut ob�ir par force, on n'a pas besoin d'ob�ir par devoir, et si l'on n'est plus forc� d'ob�ir on n'y est plus oblig� expliquait Rousseau dans le Contrat social (chapitre 3).

Rappelons que l'�cole se reconna�t pour mission de former des �tres libres, responsables et soucieux de la justice. D�o� la complexit� de la t�che de l��ducateur qui, comme le rappelle Meirieu (1996) doit �faire l�autre� tout en faisant qu�il �chappe � son pouvoir en lui reconnaissant sa libert� : avant tout une libert� de r�sister ou d�adh�rer, c�est � dire de construire son autonomie (17). Ce que Defrance (1988, p.107) exprime autrement en parlant du d�fi de tout �ducateur �d'exercer un pouvoir qui donne pouvoir�.

� en juger par ce qu�en disent les �l�ves, nous serions port�s � croire que l'�cole n�est pas toujours vecteur d'�mancipation. L'autorit�, qui devrait �tre un v�hicule des valeurs d�mocratiques, se trouve dans plusieurs cas d�natur�e, faisant dire � Mendel (1971) qu'elle n'est jamais que �le masque mystifiant de la violence�.

Rappelons cependant que, si l'�cole doit permettre aux �l�ves de faire l�apprentissage de la libert� et de la responsabilit�, elle doit n�anmoins veiller � ce que ceux-ci �ne soient pas expos�s � subir des dommages, et n'en causent pas � autrui�(18). Cette opposition entre libert� et s�curit� est au centre de la question �ducative et renvoie � la l�gitimit� de l�autorit�. On comprendra qu'une �ducation � la citoyennet� n'a pas � faire l'�conomie des responsabilit�s d'encadrement qui incombent � l'institution scolaire, mais � situer les notions d'�galit� et d'autorit� dans une d�marche qui fait appel au dialogue et � la transparence.


2.3 L'�cole, soci�t� de droit

Si l�on doit reconna�tre que la relation ma�tre-�l�ve induit dans son essence m�me une in�galit� de statut, l'�l�ve demeure n�anmoins, en tout temps, l'�gal de l'enseignant en tant que titulaire de droits. L��galit� en dignit� et en droits de tous les �tres humains est en effet le socle d�une �ducation d�mocratique. Ainsi, tous les membres de la communaut� scolaire doivent pouvoir compter sur le respect de leurs droits.

�duquer � la citoyennet� d�mocratique induit n�cessairement une dimension juridique : il n'y a pas de d�mocratie sans loi (19), c'est le rapport � la loi qui introduit � une soci�t�. L'�cole, comme lieu de construction de la citoyennet�, devrait, nous dit Meirieu, �tre �le lieu de construction de la culture et de la loi, de la culture par la loi, et de la loi par la culture.� (20)

La construction de la loi �tant sans doute l'un des p�les les plus importants dans l'apprentissage du �vivre-ensemble�, il entre dans la mission de l'�cole de permettre aux �l�ves de d�couvrir les moyens �juridiques� par lesquels il vont pouvoir articuler progressivement leur libert� avec celle des autres et �d�couvrir que, contrairement � ce que l�on croit trop souvent, la libert� ne �s�arr�te� pas, mais commence l� o� commence celle de l�autre. Libert� dont le champ augmente sans cesse par la ma�trise progressive et toujours inachev�e des outils de l�expression de soi, de la compr�hension du r�el et de la communication avec les autres� (Defrance, 1996, pp. 116-117). Il s'agit d'instituer progressivement les r�gles du droit dans le fonctionnement ordinaire de la classe, de l'�cole. Le d�fi, nous dit cet auteur, est de permettre aux enfants �non pas de subir le rappel � la loi, l'imposition de la loi, mais de vivre � l'�cole l'institution de la loi. Il y a contradiction entre le rappel � la loi qui provoque sa transgression et l'institution de la loi.�

D'apr�s ce que nous disent les �l�ves, on peut penser que, dans les �coles qu'ils fr�quentent, la loi est davantage impos�e qu'institu�e. Tout se passe comme si la transmission des savoirs �tait subordonn�e � la capacit� pr�alable � s'inscrire dans une forme de discipline et � en accepter les r�gles de fonctionnement. Au plan socio-p�dagogique, cela renvoie � des choix fond�s sur des valeurs. Il semblerait, dans le cas qui nous occupe, qu'��tre bon �l�ve devient progressivement �tre capable de se soumettre � une discipline impersonnelle et � faire ce que le ma�tre attend de vous� (Meirieu, 1999). Or, l'�cole veut former des citoyens autonomes et �autonome� veut dire autosnomos, �qui se donne � soi -m�me sa loi�. Et Castoriadis de rappeler : �se donner � soi -m�me sa loi, cela veut dire qu'on pose des questions et qu'on n'accepte aucune autorit�. Pas m�me l'autorit� de sa propre pens�e ant�rieure.� (21) Pour ce philosophe, il est possible d'�tre libre dans une soci�t� o� il y a des lois, � condition d'avoir �la possibilit� effective (et non simplement sur le papier) de participer � la discussion, � la d�lib�ration et � la formation de ces lois.� (22) Il semblerait que, comme le dit Defrance (1988, p. 43) : �l'autonomie n'est pas, malgr� les intentions g�n�reuses des textes, la vis�e fondamentale du syst�me� �ducatif.

Le rapport national de l'Association canadienne d'�ducation (1995) insiste aussi sur le fait que �l'apprendre � vivre-ensemble� passe par une r�flexion sur la discipline, et la r�glementation. Il est ajout� qu'un �v�ritable enseignement du sens de la citoyennet� exigerait des �coles qu'elles donnent aux �l�ves la responsabilit� de participer � la conduite de certaines activit�s scolaires. Tout ceci �tait peu manifeste dans la majorit� des �coles � l'�tude� (p. 194). C'est �galement le constat que nous sommes amen�e � faire � la lecture des propos tenus par les �l�ves que nous avons interview�s. Les r�gles semblent impos�es et immuables, m�me s'il existe des dispositifs devant permettre aux �l�ves de participer aux d�cisions. Selon Rueff-Escoub�s, qui fait un constat semblable, dans la majorit� des �tablissements la participation des �l�ves rel�ve de la parodie :

�Les �lections sont b�cl�es et les d�l�gu�s sont consid�r�s comme quantit� n�gligeable. Ils ne peuvent pas s'exprimer, ou bien leur parole est tourn�e en d�rision, ou encore, plus perfidement, on les encourage � la d�lation envers les �brebis galeuses� de la classe. La proc�dure qui permet aux d�l�gu�s de participer aux conseils de classe consacre l'absence d'acte-pouvoir collectif des �l�ves dans l'�tablissement en n'octroyant � ceux-ci qu'une forme caricaturale de repr�sentation d�l�gative.�

SUITE

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� CIFEDHOP 2009